L’un est trader, l’autre restaurateur. Tous deux accusés d’avoir mis en cause les fondements de la société, ils ont été jugés simultanément par la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.
Janvier 2008 est à marquer d’une pierre noire pour Jérôme Kerviel et Kapirialpillai Mickalpillai. Pour le premier, c’est game over, suivi de trente jours de détention préventive. Les hautes sphères de la Société générale, paniquées, viennent de découvrir que ce trader de 30 ans met en péril immédiat l’existence de la banque, avec une prise de position extravagante de 50 milliards d’euros, pactole bien au-delà des fonds propres de la banque aux 150000 salariés.
Pour le second, locataire gérant d’un restaurant à Chelles, un contrôle de l’Urssaf, en ce même mois décidément contrariant, met sous le coup d’une menace de fermeture cet établissement de trente couverts fréquenté par la communauté tamoule de la cité de Seine-et-Marne. Le trader et le restaurateur ont été jugés simultanément par les magistrats de la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, chargée des délits financiers. Les débats ont duré trois semaines pour le premier, dix minutes pour le second.
Une employée payée 200 euros par mois
Le cas du locataire gérant de Chelles a eu moins d’écho que celui de Kerviel. Pourtant, à en croire les réquisitions des parties civiles, tous deux ont mis en danger les fondements de la société en général. En employant au noir une compatriote (200 euros par mois, payés en liquide), en présentant une comptabilité désinvolte et en se servant dans la caisse pour régler la carte orange de son épouse, Kapirialpillai Mickalpillai, tels les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, a contribué à creuser le trou abyssal de la Sécurité sociale (30 milliards d’euros prévus en 2010).
Jérôme Kerviel – qui, somme toute, n’a fait perdre à la banque que 4,9 milliards d’euros – a dû faire face, dans la vaste et lumineuse (pour que toute la lumière soit faite ?) salle des criées du palais de justice, à trois chefs d’accusation : faux et usage de faux, introduction d’informations frauduleuses et abus de confiance. C’est dans un lieu moins impressionnant, le siège habituel de la 11e chambre, que le restaurateur tamoul a répondu des faits qui lui sont reprochés. Mais cette petite salle d’audience est bien connue des initiés.
Pendant ce temps, Jean-Marie Messier…
Pendant que la kyrielle de caméras filmaient pour les 20 h les moindres apparitions de J. K., prévenu libre et Madonna du Palais, Jean-Marie Messier, que l’on a connu plus flamboyant, y était jugé trois après-midi durant, devant un public plus que clairsemé, pour des soupçons de manipulations financières qui ont conduit à la déroute planétaire de Vivendi-Universal. La bataille feutrée entre avocats fiscalistes devrait aboutir, selon toute vraisemblance et selon aussi les réquisitions très modérées du parquet, à la relaxe de J2M.
« Qui êtes-vous Jérôme Kerviel ? » Cette question, récurrente pendant la totalité des débats animés avec doigté par le président Dominique Pauthe, constamment soucieux de rendre intelligible ce dossier complexe, n’a pas trouvé de réponse. Le débit précipité du prévenu ; son jargon, riche en forwards, warrants, futures, et autres spiel, put et call ; son attitude hiératique de beau ténébreux cultivant avec un soin laborieux un look Alain Delon dans Plein soleil, n’ont rien dévoilé de la personnalité du Robin des Bois cravaté qui prenait l’argent des riches pour le donner à personne, pas même à lui.
Mickalpillai aussi mystérieux que Kerviel
Que sait-on de la personnalité de M. Mickalpillai ? Guère plus. Malgré l’attitude bonhomme et somme toute bienveillante du président Christophe Vacandare, la barrière du langage et les propos sibyllins d’un interprète de fortune n’ont pas plus permis de cerner la personnalité de cet homme râblé. Tout au plus peut-on supposer qu’il se demandait (sentiment apparemment partagé par le tribunal) ce qu’il venait faire dans cet impressionnant cérémonial.
Spectaculaire, le procès Kerviel s’est montré avare en coups de théâtre. Il ne fallait pas compter sur les témoignages des supérieurs de J. K. au fameux desk Delta One, les n° 1, n° 2, n° 3, etc. (mais pourquoi tant de n° ?), maniant une langue de bois avec virtuosité, pour que frémisse la moindre bouffée d’émotion. Daniel Bouton, personnalité de l’establishment ministériel et de la haute finance, ne passe pas pour un tendre. Pourtant, le pdg déchu de la Générale fut le seul à faire entrer dans le prétoire bondé le souffle de la tragédie. Son récit passionnant et haletant des trois jours qui ébranlèrent la banque avait, chez cet homme visiblement brisé, des accents raciniens. On n’aurait pas été autrement étonné qu’il conclût ses deux heures de déposition par les paroles de Théramène narrant à Phèdre la mort d’Hippolyte : “Excusez ma douleur/Cette image cruelle/Sera pour moi de pleurs/Une source éternelle.”
Quatre ans ferme d’un côté, 250 euros d’amende de l’autre
Le réquisitoire du procureur Jean-Michel Aldebert a été sans surprise : “Menteur ! Fraudeur ! Tricheur !”, a-t-il lancé à Kerviel avant de demander une peine de cinq ans de prison dont quatre fermes. La plaidoirie de maître Olivier Metzner, star du barreau au programme chargé puisqu’il est cette semaine aux côtés du général Noriega avant de s’occuper, dès le 1er juillet, des intérêts de la fille de Liliane Bettencourt, a lui aussi été sans surprise.
Fidèle à sa stratégie, sa plaidoirie a consisté en un long réquisitoire contre la Générale, banque casino inepte en matière de contrôles internes, qui aurait elle-même fabriqué un produit dérivé nommé Kerviel. Le cajolant lorsqu’il gagnait, puis lorsqu’il perdait, le trouvant aussi détestable qu’un Himalaya de subprimes.
Anticipant quelque peu ses prestations au tribunal de Nanterre, Me Metzner a confondu “l’abus de confiance” reproché à Kerviel, et “l’abus de faiblesse”, chef d’accusation dont devra répondre François-Marie Banier dans l’affaire Bettencourt. Un lapsus qui ne manquait pas de pertinence, tant la banque, dans cette affaire, avait parfois l’allure d’une vieille dame dure d’oreille à l’esprit embrumé. Kerviel sera fixé sur son sort le 5 octobre. Mickalpillai, pour sa part, saura le 21 septembre prochain si le tribunal a suivi les réquisitions du procureur de la République : 250 euros d’amende, avec sursis.