Laurent Garnier évoque son nouvel album, le festival qu’il prépare dans le Luberon, le film qu’il va réaliser, mais aussi Rémy Kolpa Kopoul et les attentats de janvier.
Rémy Kolpa Kopoul, grande figure de Radio Nova, est mort il y a quelques jours. Tu as perdu un ami cher : que peux-tu nous en dire ?
Laurent Garnier – C’est dur d’en parler. C’était un ami proche et j’ai du mal à m’en remettre. On ne s’y attend jamais, même s’il a toujours un peu brûlé la vie par les deux bouts. Evidemment, c’est une grande perte pour la musique. Mais moi comme d’autres avons surtout perdu un proche, quelqu’un de très sincère et de fidèle. Son enterrement a été très émouvant : il lui ressemblait. Des gens ont parlé de lui. Certains le connaissaient depuis quarante ans, racontaient des histoires à dormir debout, d’autres ne le côtoyaient que depuis quelques mois mais tous étaient bouleversés : c’était quelqu’un de vraiment exceptionnel.
Ton nouvel album, Home Box, est paru dans une luxueuse édition vinyle qui a presque immédiatement été épuisée. Un symbole fort du renouveau du vinyle ?
Le renouveau du vinyle… C’est génial, ça me fait très plaisir de voir qu’une nouvelle génération redécouvre le rapport à l’objet, achète à nouveau des disques. Il y a dix ans, la plupart des gamins te disaient que la musique devait être gratuite : c’était un acquis et ça me rendait fou. Mais combien de temps va durer ce mouvement ? On sait que tout est éphémère : j’espère me tromper mais peut-être le modèle pur et dur de la gratuité s’imposera-t-il à nouveau. Et c’est devenu compliqué de faire presser des vinyles : la demande est énorme, les usines de pressage se raréfient et les mecs sont débordés. Même pour Home Box, ça n’a pas été simple : on a dû attendre huit semaines pour pouvoir fabriquer les disques. Je suis très content d’avoir pu faire cet objet, assez beau, assez cher, et surpris qu’il ait été épuisé si vite. Il y a cinq ou dix ans, ça aurait été impossible. Mais je ne sais pas si on pourra encore le faire dans cinq ans.
https://www.youtube.com/watch?v=NWTWu4H5hng
En t’installant il y a quelques années à Lourmarin, dans le Luberon, tu as décidé de continuer à vivre en France. Que penses-tu de l’humeur du pays, notamment depuis le 7 janvier ?
J’ai vécu ce jour d’une manière assez particulière. Je passais en taxi juste à côté des locaux de Charlie Hebdo, quelques minutes à peine après le drame. Un policier nous a sauté dessus, a tapé sur la voiture, nous a dit : “Partez, partez vite !” On voyait des flics surgir de partout mais on ne savait évidemment pas ce qui se passait – je ne l’ai appris que plus tard, dans le train qui me ramenait chez moi. Je ne vais pas quitter la France à cause de ce genre d’événement : la même chose aurait pu arriver en Belgique ou à Londres. Et j’ai aimé ce qui s’est passé le 11 janvier. Les gens ont abandonné leurs préjugés, sont descendus dans la rue pour dire, collectivement, “Même pas peur”. Chez moi, dans le petit village de Lourmarin, on a réussi à réunir près de 2 000 personnes. C’était touchant, et c’est dans ces moments extrêmes qu’on se rend compte que le Français, toujours un peu tête de con, bougon, et bien souvent en train de se plaindre, est encore capable d’une solidarité forte.
Tu es, avec d’autres, à l’origine du festival Yeah!, qui se déroulera chez toi, à Lourmarin, début juin. Quelle est la philosophie de l’événement ?
On voulait recevoir les gens exactement comme on aimerait être reçus. On a entre 30 et 50 ans, nos amis et notre public aussi, beaucoup ont des enfants, mais ils aiment sortir, voir des concerts, s’amuser. On voulait quelque chose qui combine tout ça. Pas une foire au jambon, pas un grand parking accolé à un grand camping. Les gens viennent en famille, on mange bien, on boit bien, les mômes ont des activités, peuvent découvrir des trucs pointus avec leurs parents. C’est convivial, il y a 1 000 personnes, le lieu est beau. On avait aussi vraiment envie de se marrer, loin du côté très business de beaucoup de gros festivals.
Tu travailles sur une adaptation ciné de ton autobiographie, Electrochoc…
Ce sera une fiction très, très librement adaptée du livre, qui portera d’abord sur la passion plutôt que sur l’histoire de la techno – même si, bien sûr, on en parlera et on en entendra. Et pour ne pas mentir aux gens, précisons aussi que ce ne sera pas un film sur ma vie. On suivra sur vingt-cinq ans la trajectoire d’un DJ, d’un jeune homme devenant un homme. Un passionné de musique, qui y voue sa vie. Son environnement et son parcours n’ont en revanche rien à voir avec les miens.
Tu réaliseras le film toi-même : as-tu des modèles, des réalisateurs dont tu admires l’esthétique, la narration ?
Je bouffe énormément de films, depuis longtemps, parfois trois ou quatre par jour. Je suis en cinéma comme je suis en musique : je ne suis pas du tout monomaniaque et plusieurs types de cinéma me plaisent. J’aime les films assez esthétiques, j’aime aussi l’urgence des films anglais. J’adore le travail d’Alfonso Cuarón, d’Alejandro González Iñárritu ou de Jim Jarmusch, par exemple. J’aime également le côté un peu barjot de 24 Hour Party People ou de Snatch, comme j’apprécie la manière dont Klapisch a pu décrire la jeunesse.
album Home Box (F Com/Pias) festival Yeah!, du 5 au 7 juin à Lourmarin, festivalyeah.fr