Le Great Escape, plus grand festival de découvertes musicales d’Europe, situé à Brighton, fêtait ses dix ans cette année. L’édition se voulait particulièrement ambitieuse : 400 concerts dans plus de 35 lieux, avec en point d’orgue la performance surprise des Maccabees samedi 16 mai. On y était, on vous raconte.
Day 1
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C’est sous un crachin de rigueur que l’on patiente pour récupérer nos pass. Les débuts de festivals sont toujours un peu chaotiques. On se tord les neurones à tenter de faire rentrer 60 groupes en trois jours, à raison de sets d’une demi-heure, dispersés dans toute la ville. Avec la téléportation, ça pourrait éventuellement marcher. Première tentative avec le duo prometteur franco-italien installé à Londres Indigo Face. Premier échec. La queue s’étend jusqu’à la mer ou presque et on se familiarise avec le « one in, out out » qui va vite sonner à nos oreilles comme un refrain. Finalement, nos pas suivent des harmonies claires comme de l’eau de roche qui semblent transpercer les nuages. Sous un porche, voilà Common Tongues, quatre ou cinq gars aux voix sur le fil et aux mélodies lyriques. On écoute sous la pluie, on ne sent plus rien. On leur doit une belle pneumonie mais c’est sans regret.
Ce soir on fait la tournée des jeunes filles en fleur. The Unitarian Church sied parfaitement à une Flo Morissey absorbée, limite mystique, dont les mélodies empruntent des voies parfois un poil trop sinueuses. On irait quand même bien faire du macramé dans l’herbe avec elle autour d’un bon feu de camp. On enchaîne avec Soak, son pendant écorché, à la voix frottée de sable. Moins parfaite, plus touchante. Elle raconte l’histoire de cette chanson écrite à 16 ans, quand elle a quitté l’école et perdu ses amis. Ça lui paraît loin. On sourit… c’était il y a deux ans. On ne trouve pas Paganini Ballroom (il eût été utile de préciser le nom de l’hôtel à l’intérieur duquel la salle est située) et on manque Adam French. A partir de là, la machine s’enraille. On ricoche de bar en bar, tel un galet de la plage de Brighton, sans qu’une oreille n’accroche. A Coalition, complètement bondé, on a la sensation désagréable que le public est venu voir une bête de foire. L’américain Shamir est en effet très androgyne, mais passée la surprise de cette voix désincarnée, on reste un peu sur notre faim. On fait une halte dans un nouveau sous-sol pour goûter un set de Happyness un poil trop sirupeux à notre goût, ce que ne laissaient pas présager leurs premiers morceaux.
Vers 22h, une faune passablement alcoolisée et déguisée remonte les rues grimpantes et raille gentiment les troupeaux de festivaliers badgés qui poireautent à l’entrée des bars. Deux mondes se croisent et se toisent. Après vérification, à Brighton se tenait ce soir-là un championnat de ligue 1 de… fléchettes. On parvient enfin à pénétrer dans la petite salle Hope and Ruin. Les Big Byrd nous tire définitivement de notre torpeur. En cuir et mal rasé, les trois Suédois balancent des rafales de guitares à la wah-wah. On aime moins la dernière chanson en suédois, qui ressemble à l’idée qu’on se fait du Top 50 nordique. C’est remonté à bloc qu’on déboule voir MT Wolf au Komoedia. On en retient d’épiques romances sans paroles avec de jolies explosions post-rock. On aime moins les morceaux chantés avec les invitées féminines, plus taillés pour les foules. Passage chez les compatriotes français. On tombe en arrêt sur Jeanne Added, sorte d’Annie Lennox on crack qui pioche joyeusement dans tous les genres. On n’avait pas eu l’occasion de mesurer l’étendue de ce brillant désastre sur le premier EP, c’est chose faite. On surkiffe Lydia, dernier morceau qui nous fait étrangement penser à Noir Désir, et à une certaine Lolita qui nie en bloc. On reste à The Green Door Store pour se finir en beauté avec un set incendiaire d’Acid Arab. On se faufile tout devant et aux premières notes de derbouka, on jette sacs et vestes à terre pour se laisser aller à une transe libératrice électro-orientale.
Day 2
On déjeune sur le pouce d’une demi-douzaine de bouteilles d’eau et d’autant de comprimés de paracétamol. Direction Neon Waltz, une tripotée de gosses écossais qui vient de signer un premier vinyle de démo chez Atlantic Records. C’est encore un peu vert, un poil trop policé, mais leur pop glissante convient parfaitement à ramener doucement à la vie certains festivaliers qui finissaient leur nuit sur la moquette du Brighthelm Centre. On enchaîne ensuite par notre premier groupe de nanas, Pins. Leur son légèrement crado sent l’eyeliner qui coule, on commence à avoir des fourmis dans les jambes. On trace ensuite voir les gosses turbulents de The Jacques. Dans le salon d’un hôtel, des kids (16 ans pour le chanteur tout de même) se lâchent sous le regard analytique de quadra professionnels de la musique. La jeunesse débraillée se prend les pieds dans les câbles et s’amuse comme s’il elle était seule, sans s’émouvoir de son public un peu coinços, qui de toute façon va vite se détendre. On passe se ravitailler à la party du Bureau Export, l’organisme chargé de promouvoir les artistes français hors les murs, qui vient d’achever un panel sur les relations de travail franco-anglaises. On nous a soufflé qu’il y aurait plein de fromages et il se trouve qu’on a un peu oublié de manger. Et puis surprendre la tête des Anglais à leur première gorgée de pastis, ça n’a pas de prix.
On se fraie un passage difficilement pour les Californiens de The Garden, dans l’obscure salle de The Haunt. On tente le balcon pour apercevoir l’ombre d’un musicien. Las, c’est un mur compact qu’on affronte. On trouve la parade. En se mettant à genou, on a une vue plongeante à travers les jambes des festivaliers. Et ça vaut le coup de frôler le piétinement. Le guitariste en long manteau noir et son frère jumeau à la batterie sont complètement azimutés et délivrent ce qui pourrait s’apparenter à du punkabilly. Assez vite, le concert prend une autre direction ; le batteur saute par-dessus ses fûts, l’ambiance se fait jungle et les deux énergumènes bondissent comme des marsupilamis en débitant un flow qui emprunte au hip hop. Outre la performance sportive, on se lasse un peu.
On décide de rester côté mer pour voir les Londoniens de The Palace. On croise la petite Soak au bar, sans son skate, qui se détend avant sa prochaine performance. C’est peut-être la transition ou la fatigue, mais on se sent boiteux. Rien à reprocher sur le fond, juste un petit supplément d’âme qui nous manque. C’est l’heure de la récré avec les belges de Mountain Bike qui jouent pour la première fois de ce côté de la Manche après s’être fait remarquer à Eurosonic. Se pointent quatre gars en slip et maillot de basket. Leurs morceaux sous forme de fête foraine garage sont plutôt réjouissants. Ça ne change peut-être pas la face du monde mais cela met en joie, presque autant que de les voir se tortiller en slibard.
On reste un peu sur notre faim avec le songwriter londonien The Beach puis Human Hair, un poil trop premier degré à notre goût dans leurs genres respectifs, le songwriting et le rock. On a beaucoup entendu parler de Slaves. Pas forcément convaincu à la première écoute, une vidéo nous a décidé à aller jeter une oreille à leur performance. On se glisse devant pour profiter du spectacle, qui paraît-il vaut la chandelle. Déboule un duo insolent en mode sales gosses qui cherchent leur prochaine connerie. Le chanteur/batteur tabasse ses fûts debout, ce qui donne l’impression qu’il fait en même temps son jogging sur un tapis roulant. Son comparse guitariste complète le tableau pour un punk rigolard. Assez vite, la foule se soulève. On perd quelques orteils, un verre de bière plein qui se répand sur le voisin, et même un peu de dignité. Peu importe, on ne quittera pas la kermesse. Après un crowd surfer qui se jette dans la foule en combinaison chauve-souris, le duo finira son concert lui-même sur le public. On sort groggy mais heureux et on s’achève avec les anglais Boxed In qui s’appuient sur une épine dorsale composée d’accords martelés au clavier. A ce stade, la tête n’est plus vraiment en charge. Ce sont les jambes qui décident. A en juger par nos frétillements d’un pied à l’autre, ce doit être bon.
Day 3
On cumule les frustrations. Pas moyen de croiser quelqu’un sans avoir droit à un « t’as raté le concert du festival ». Entre changement de programme, de lieu et queues interminables, on sait à présent qu’on ne verra pas la moitié de ce qu’on voulait. On en devient grincheux. Quand un concert n’est pas à la hauteur de notre excitation, on songe à tous les autres groupes ratés au même moment. Il faut s’y faire ; les groupes jouent plusieurs fois et les performances varient sensiblement en fonction des lieux et conditions. On réalise combien le jugement est subjectif. Ce sont les Néerlandais de The Indien qui nous remontent le moral sur les coups de midi. Un set irréprochable mené par une chanteuse charismatique, qui évoque plutôt les sixties et les chevauchées à cru dans les vastes plaines ouest américaines que Cologne, nom du premier l’EP du groupe et ville où il a été enregistré. On s’autorise une incursion en France avec Saycet dont on loue le show visuel. On bénit les petites salles pour avoir la chance d’assister de près au fascinant ballet de doigts qui tournent un potard, enfoncent une touche, pincent une corde. Sur le côté, en véritable troisième homme, la « lighteuse » s’affaire tout autant à sa table, projetant des vidéos sur le triptyque en toile de fond et variant les couleurs qui soulignent les tables de mixage. Une scénographie poussée au rang d’art à part entière. On découvre pour la première fois le soleil de Brighton. On décide d’aller faire un tour aux tentes Spiegel, dans un square, pour un peu de folk et de chansons toutes nues avec Jack Robert Hardman et Oliver Dalry. On fait une bonne razzia aux stands de street food diaboliquement bons et on bronze pendant au moins dix minutes.
Nous voilà d’attaque pour un petit tour sur The Alternative Escape, le versant off du festival. On entre en zone de turbulences avec Zun Zun Eguy, un brave bordel qui fourre un peu tout ce qui lui passe sous la main sur fond d’ethio jazz. Le chanteur tente même de signer avec sa guitare le plafond de l’hôtel d’un Z pas comme Zorro. On enchaîne avec Tuff Love, deux jeunes nanas au look pour le moins androgyne accompagnées d’un batteur pour un son lo-fi bricolé dans une chambre de Glasgow. On a fait l’impasse sur les gros concerts de Django Django ou Alabama Shakes, de toutes façons sold out, mais on découvre enfin une des salles principales, the Dome Corn Exchange pour Bad Breeding. Comme on n’a pas bien retenu la leçon de la veille, on se met bien devant pour ne pas en manquer une miette. Les membres du groupe arrivent sur scène en titubant. On réalise vite que pour la première fois, les barrières de sécurité ne sont pas là pour protéger le groupe du public mais l’inverse. Le chanteur fera les trois quarts du concert à quatre pattes, le guitariste parfois perché sur son dos. Il faudra faire preuve de vigilance pour éviter les coups de micro quand il lui prend de se jeter sur les barrières. Côté musique, on songe à un peu tout ce qui fait du bruit, de Helmet aux Sex Pistols, de préférence mal luné et braillards.
On est tout chaud pour les noisy Irlandais de Girl Band, qui passeraient presque pour des enfants de chœur après l’expérience précédente. On se fait ensuite une ligne droite de très jeunes pousses, à commencer par Blaenavon. On suivait déjà le groupe l’année dernière, celui-ci ne pouvait se produire que pendant les vacances scolaires, nous avait expliquer leur manager. Surprenants de maturité et de décontraction, on va sans aucun doute entendre parler d’eux maintenant que l’école est finie. On enchaîne avec la bande filles Novella, qui joue à domicile, avec plein de cordes et de chœurs tout droit sortis des sixties. On décide ensuite de jouer les extérieurs avec Pretty Vicious, l’un des plus jeunes groupes du festival, avec des musiciens qui affichent 17 ans à peine au compteur. Sur la carte, le Concorde 2 est marqué « à 7 minutes ». Il n’était cependant pas précisé par quel moyen de transport ; visiblement plutôt en hélicoptère qu’à pied. On arrive en retard, les orteils en feu, et pestant contre tout un planning foutu en l’air. On a à peine le temps d’apercevoir le punk rock nerveux des minots qu’il faut reprendre l’interminable chemin du retour et essayer d’attraper Gengahr. Hélas, on reçoit des notifications d’alerte ; la salle est pleine. On enchaînera ainsi deux trois ratés alors qu’on arrive aux salles convoitées. La fin du festival approche à grands pas, on se sent désœuvré.
Notre quête du Saint Graal est enfin récompensée avec le duo Whilk and Misky, qui joue dans le minuscule Komœdia Studio, autant dire dans un couloir. L’ambiance est tendue, on se marche dessus. Dès les premières notes, un truc étrange s’opère, on n’en croit pas nos oreilles. Les gens se tournent vers leur voisin avec un sourire béat et un besoin irrépressible de partager en répétant : « This is awesome! ». A coup de rythmiques sèches en hand claps, de guitares qui s’aventurent côté folk et de nappes électroniques, le duo dessine les contours d’une musique unique, tout en tiroirs et rebondissements. A chaque fois que l’on croit que c’est fini, on repart à danser de plus belle. On est nombreux à dire que c’était notre meilleur concert du festival et à refuser de laisser repartir le duo. Sur la route, on repère une musique à la location non identifiée. On lève les yeux, on aperçoit un groupe jouer à l’étage, dans un immeuble. On fait le tour du pâté de maison. Non, rien à faire, c’est une soirée privée. Dommage, le son avait l’air bien bon, on se retrouve même à shazamer bêtement en se mettant sous les fenêtres, sans succès. Le lendemain, on apprendra que Gengahr, qu’on a raté une heure plus tôt, a fini sa soirée en jouant dans le salon de particuliers pour une épique house party. Damned ! C’est donc avec la France de C.A.R qu’on finit la soirée. On n’aura pas à rougir de la programmation hexagonale, portée par le Bureau Export. Forever Pavot, Hollysiz, Ibeyi, Jeanne Added, Saycet… Ils ont fait l’unanimité auprès d’un public réputé exigeant, tout comme C.A.R avec qui s’achève notre festival. La chanteuse platine débite ses mots à la lame sur fond d’électro cold wave et tire leurs ultimes forces aux festivaliers venus s’échouer une dernière fois sur la moquette du Brighthelm Centre.
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