Omara Hayat bluesy et afro futuriste, Tony Allen vieux sage et batteur toujours vert, Hindi Zahra, la nomade visionnaire : seconde soirée du festival d’Essaouira.
Omar Hayat a vieilli. Mais comme pour les bluesmen ou le vin, c’est là un signe de vertu. Les bacchantes blanchies, il a bridé son jeu de scène. Il y a quatre ans, il se prenait encore pour le Jimi Hendrix du guembri, se mettait à genoux, gesticulait beaucoup. Allait-il finir par jouer de son hajouj (autre appellation du luth tambour des gnaoua) avec les dents ? Y mettre le feu ? La question se posait. Il semble que cette quête du spectaculaire à tout prix, fruit d’une starisation qui n’a pas épargné la communauté des maâlems, ne soit plus une priorité.
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Certes, il reste le plus flashy d’entre tous, vêtu comme un Bootsy Collins de la tagnaouite, avec des franges en fourrure, des tresses de cauris, une rivière de colifichets pendue autour du cou, du satin sur les épaules. Un maître gnaoua afro-futuriste, mais évoluant plus souvent désormais dans la lenteur, dans l’intériorité, dans la zone bleue de cette musique. Du coup, sa rencontre avec le musicien guadeloupéen Sonny Troupé, jeune électron libre voyageant entre gwo ka antillais et jazz progressif, prit l’étrange tournure d’une recherche vers la sagesse, avant une explosion finale faisant ressembler le public massé autour de la place Moulay Hassan à un champ de blé après le passage d’une tempête.
Tony Allen et Mohamed Kouyou, réunification plus que fusion
Moment très attendu de cette 18e édition, la prestation de Tony Allen était une première à Essaouira. Toujours aussi élégant – chapeau tribly couleur crème lui donnant un petit air cubain – le batteur se présentait avec une formation mi roots mi geek où le mélange d’instruments basiques (guitare, basse, percus, cuivres…) et électroniques allait servir pour le meilleur le répertoire de son nouvel et excellent album Film of Life, que les membres du collectif français The Jazz Bastards ont su saupoudrer d’un très seyant soupçon de french touch.
Tony s’attarde assez peu sur ses anciens titres. Hormis Asiko et Ewa de l’album Black Voices de 1999, il privilégie la nouveauté. Et même l’actualité avec ce Boat Journey où il conseille ses frères africains, avec une voix de vieux sage assis sous son arbre à palabre, de ne surtout pas s’embarquer dans une odyssée censée les conduire vers un eldorado, alors qu’elle se soldera au mieux par une vie de galère, au pire par une noyade. “Running away from misery, and you find yourself in a double misery.”
Tony excelle dans le laconisme oral comme il triomphe dans l’économie rythmique. Voir l’ancien complice de Fela derrière sa batterie est une expérience autant unique qu’improbable. On reste interdit par cette technique faite de nonchalance et de frugalité. Une pichenette sur un tom par ci, une chiquenaude sur une caisse claire par là, une caresse sur une cymbale, un bon coup de grosse caisse… Tout ça semble enfantin. Ça l’est, sauf que c’est aussi bougrement efficace et que ça tourne comme un moteur multicylindre.
On s’en rendra mieux compte au moment de l’inévitable fusion, avec le maâlem Mohamed Kouyou en l’occurrence. Bien que desservi par quelques problèmes d’ordre technique, cette rencontre eut le mérite de rendre inapproprié le mot “fusion”, souvent si peu engageant. « Réunification » serait plus convenable, l’afro beat et le système circulaire gnaoui s’emboîtant à la perfection dans une dynamique que nous aurions volontiers suivie au bout de la nuit tant elle semblait vouloir nous faire ignorer l’épuisement… Mais qui nous aurait privé de l’immense plaisir de retrouver la magnifique Hindi Zahra sur scène.
Hindi Zahra, sensuelle et charismatique
La dernière fois que nous l’avions vue, c’était dans le cadre d’un festival international à Tel-Aviv où elle avait enchanté le public israélien et déclenché une polémique ailleurs. Qu’une chanteuse marocaine ose se produire en Israël n’a jamais été bien vu. Depuis quelques années, c’est considéré par certains comme une trahison. Elle a donc essuyé la colère des plus radicaux et dû même affronter des manifestations hostiles lors de certains de ses concerts. Résolue, intraitable d’intelligence, elle répond aujourd’hui à ses détracteurs :
“Je ne fais pas de différence entre les peuples. Si je dois boycotter Israël, je dois aussi boycotter la Russie, l’Arabie Saoudite ou les Etats-Unis. Ma chance, c’est d’avoir rencontré Leila Shahid qui était hier soir à mon concert et qui est contre le boycott culturel en Israël. Venant de l’ancienne représentante de la Palestine au Parlement européen, figure emblématique du combat pour la reconnaissance d’un Etat palestinien, je ne peux qu’être renforcée dans ma conviction. Les frontières existent déjà, les gouvernements existent déjà, les armées aussi. Si la culture ne peut pas circuler, alors tout est perdu.”
Voilà qui est dit. Son nouvel album s’intitule Homeland, un « foyer » que cette nomade née imagine au fil des 11 chansons qui composent le disque comme un voyage au gré des multiples courants musicaux qui la portent. Mais une ballade qui commence par le très beau To The Forces sur un rythme hassani, accompagné par la guitare sahélienne de Bombino, et chanté en partie en amazigh, langue des Berbères. Elle jettera d’ailleurs l’ancre de ce concert donné place Moulay-Hassan avec ce titre très puissant, mais sans Bombino, avant de dériver au fil d’un répertoire où le rock, la chanson, le reggae et la musique sud-américaine vont lui servir de repères sous un ciel de mille et une nuits.
Sur scène, Zahra (c’est son prénom, Hindi étant son nom de famille) est belle à voir, sensuelle et charismatique, même, ou surtout, en tenue de suffragette, finalement assez digne de cette fille de militaire de carrière. Elle sait aussi fort bien s’entourer de musiciens qui donnent à ses rêveries musicales le décor sonore qui convient. Comme sur ce The Blues qu’elle a imaginé comme un « western iranien » avec une guitare (jouée ici par Paul Salvaniac, jeune musicien qui s’est fait les dents au Mali aux côtés de Tamikrest) au diapason de métaphores où l’amour et la beauté sont aussi rares, mais aussi autant espérés que la pluie sur le désert.
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