En prélude à ton nouvel album, tu as sorti l’an passé Get on Jolly, disque sur lequel tu reprenais des textes de Rabindranath Tagore. Qu’est-ce qui t’a séduit ? Principalement le fait que ses textes sont pleins de conflits et de substance, sans se limiter à un seul sujet. Ils peuvent parfaitement coller à une […]
En prélude à ton nouvel album, tu as sorti l’an passé Get on Jolly, disque sur lequel tu reprenais des textes de Rabindranath Tagore. Qu’est-ce qui t’a séduit ?
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Principalement le fait que ses textes sont pleins de conflits et de substance, sans se limiter à un seul sujet. Ils peuvent parfaitement coller à une musique, sans être réductibles à une signification unique. Ce qu’écrit Tagore me touche, sans que je sache exactement pourquoi ou comment. Le lire me permet d’exercer au mieux mon c’ur, et mes sentiments. En fait, je l’ai découvert assez récemment, au moment même où je me suis mis à écouter beaucoup de musique venue du Bengale, d’ailleurs souvent associée à Tagore.
Tu lis beaucoup…
Ces derniers temps, j’ai lu pas mal d’écrivains de polars, comme David Goodis. Quelqu’un m’a offert l’an dernier Out of the dust, un livre de Karen Hesse qui écrit des bouquins pour adolescents : c’était génial, un des meilleurs livres que j’aie jamais lu ! C’est très facile à lire, mais aussi très déroutant. Je suis certain que, gamin, ça m’aurait troublé. D’ailleurs, ça m’a troublé lorsque je l’ai lu. Hesse raconte l’histoire d’une fille, au début du siècle, qui vit avec sa famille dans une ferme, au milieu d’une zone industrielle, là où les fermes n’ont plus aucune utilité. La famille est pauvre, mais la fille voudrait apprendre à jouer du piano, instrument pour lequel elle a un don naturel. Au début du livre, sa mère est enceinte, donc on prépare la maison pour la venue du bébé. Mais un jour, un feu se déclare dans la cuisine, et la fille essaie de se débarrasser d’un baquet plein d’essence. Mais au moment où elle jette l’essence dehors, sa mère se précipite sur sa trajectoire. Du coup, la mère est complètement brûlée, et elle meurt en donnant naissance à un enfant mort-né. La fille elle-même a les mains complètement brûlées : elle en perd l’usage, alors qu’elle se destinait à une carrière de pianiste. Le livre, pendant des pages et des pages, narre la vie de cette malheureuse, qui vit aux côtés de son père, désespéré, lui-même ne parvenant plus à gagner sa vie. C’est horrible, non ? Ce genre de livre m’inspire car c’est très bien écrit, et même si c’est très dur, cela n’a pas été écrit pour être cruel. En fait, en refermant le bouquin, on ne ressort pas complètement anéanti. D’ailleurs, savoir qu’il s’agit là d’un ouvrage destiné à des adolescents est plutôt encourageant : rien à voir avec un énième livre faussement optimiste, et transparent. J’aime aussi beaucoup Kerouac et García Márquez : des livres classiques. Tout comme les fictions de Kurt Vonnegut. Sinon, je viens de terminer une excellente biographie de Groucho Marx, sortie l’an dernier.
Tu as joué dans des films de John Sayles, mais ta carrière d’acteur est pour le moment entre parenthèses. Tu restes néanmoins toujours fasciné par le cinéma.
J’ai toujours regardé beaucoup de films. L’an dernier, j’avais pris une résolution, que j’ai tenue : j’avais décidé de ne voir que des films que j’avais déjà vus. Pour une simple raison : je consomme beaucoup de films, et je suis à la fois obsédé par ceux que je n’ai pas vus et par l’envie d’en revoir le plus possible. C’est très revigorant de revoir un film qu’on adore : je n’ai pas une vie très stable, je ne suis pas ancré à un lieu précis, et retrouver certains films est un exercice de mémoire précieux, qui me permet de revivre un peu de mon passé. Résultat de ma résolution : je n’ai pas mis les pieds dans un cinéma pendant douze mois. Cette année, j’y suis donc retourné. J’ai vu Proof of life avec Meg Ryan et Russell Crowe, Cast away, Traffic et Vertical limit. J’ai beaucoup aimé ces films. En fait, j’adore être dans un cinéma, parce que ce genre de films me permet de sortir de la réalité, l’espace de deux ou trois heures. J’ai la même sensation souvent en écoutant un disque, ou en lisant un livre. Parfois aussi, quand j’ai le cerveau à vif, le lendemain d’une cuite, j’aime bien aller au musée : j’ai l’impression d’avoir la tête ouverte, comme une plaie à vif. Je peux alors me laisser absorber par ce que je vois, sans craindre d’être distrait.
Tu travailles de plus en plus ton chant. Quelles sont les voix qui t’ont marqué ?
J’adore certains chanteurs comme OV Wright. Je suis aussi fasciné par Marino Barreto Jr. Il a une voix fascinante, son père était un chef d’orchestre cubain. Et lui, il chante en italien, avec des inflexions brésiliennes, à la Astrud Gilberto, mais en bien mieux, selon moi. Son chant est extrêmement fluide. Peu de chanteurs me font autant d’effet : en l’écoutant, j’ai l’impression de perdre le contrôle de mon corps. Sa musique malheureusement est très difficile à trouver, même sur Internet ! J’adore ce qu’il chante : ses paroles sont très basiques, du genre : « Je t’aime, appelle-moi, telefona me, la la la… » Sinon, j’adore Al Green, et Ann Peebles. J’ai également une grande faiblesse pour Magic Sam, un chanteur de blues, qui a enregistré une poignée de chansons dans les années 50 et 60. Il est mort à 31 ans, d’une hémorragie cérébrale. Quelque chose dans sa voix me touche énormément. Tout comme cette chanteuse de country, du Kentucky, Patti Loveless. Frank Sinatra, Merle Haggard et Diamanda Galas sont aussi des chanteurs qui me donnent des sensations extraordinaires, qui me font chavirer.
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Bonnie « Prince » Billy sort l’album Ease down the road.
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