Gagné par les rhumatismes, le rock autrefois terroriste de Sonic Youth est aujourd’hui un notable new-yorkais, bégayant ses larsens.
Il n’y a pas si longtemps encore, un nouvel album de Sonic Youth contenait des promesses toujours assurées de faire tournicoter nos sens et de nous pelotonner les nerfs, de hurler son courroux épineux le long de nos moelles épinières et d’instiller sa sève vénéneuse et turbulente dans les tubulures de nos veines. Disons, pour rester poli, que ces temps-là ont changé, qu’il nous vient de moins en moins à l’esprit d’accoler au nom Sonic Youth, si encombrant depuis que les rides ont gagné en profondeur chez ses pensionnaires, la moindre activité terroriste d’envergure.
Depuis qu’ils ont scindé en deux parties distinctes leurs actions, en pratiquant d’un côté (obscur) l’agit-prop expérimentale pour le compte de leur propre label SYR, et de l’autre en s’affichant derrière la vitrine légale d’une major pour leur commerce le plus « montrable », les vétérans new-yorkais ont le cul entre deux chaises musicales pas plus solides l’une que l’autre.
A l’inverse d’un Beck qui au même double jeu sait parfaitement où il crèche, Sonic Youth, en vieillissant, paraît de plus en plus mal dans sa peau de girouette schizophrène. D’une avant-garde dont ils étaient le plus sûr aiguillon, il ne subsiste avec le temps qu’un simulacre légèrement pompier et, comble de l’horreur, consensuel.
Ainsi Nyc ghosts & flowers, dernier en date de ces albums « pop » (un bien grand mot pour qualifier tel bavardage atonal) qu’ils (con)cèdent à peu près tous les deux ans au grand capital, renvoie-t-il l’image d’un groupe particulièrement déboussolé et livide, plus que jamais avachi dans les mêmes poses et faisant encore semblant de croire qu’il avance en terrain miné alors qu’il est planté en plein milieu d’un boulevard sagement réglementé.
Devenus des sortes de dignitaires radoteurs de la mythologie new-yorkaise, notables bruitistes désormais plus souvent invités à des colloques officiels qu’à des parties clandestines, les membres de Sonic Youth se regardent à présent faire du Sonic Youth, tandis qu’en voyeurs de leur propre culte ils simulent (assez bien d’ailleurs) l’orgasme sonique et fougueux de leur jeunesse disparue. Le geste demeure, mais le désir semble avoir taillé la route depuis longtemps. On imagine assez facilement un tel disque contenter les jeunes vautours de Wall Street à la recherche de frissons bon marché après une rude journée passée sur le front de l’économie mondiale. Malheureusement pour lui, cet album nous parvient au même moment que les rééditions du label de free-jazz BYG, dont Thurston Moore a supervisé la réalisation. Pour approcher les fantômes de la vraie liberté et goûter au poison violent des fleurs du mal, c’est plus sûrement vers elles qu’on tournera nos regards en vue d’authentiques et dérangeants émerveillements.
Christophe Conte