Je suis une fille et j’ai envie de regarder du X. Qu’est-ce qu’on me propose? Une journaliste de Cheek Magazine a cherché à le savoir.
Longtemps exclusivement conçus pour les hommes, les films pornos évoluent depuis quelques années. L’industrie a compris qu’il y a de plus en plus de consommatrices. Huit femmes sur dix ont déjà vu un film X (sondage Ifop pour Marc Dorcel, novembre 2012). Alors les producteurs proposent de plus en plus de vidéos “pour femmes”. Coup marketing ou volonté de faire bouger les lignes, en quoi consistent vraiment ces productions?
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Dorcelle, premier sur Google
Mon enquête commence sur Google. En cherchant “porno pour femmes”, le premier résultat est dorcelle.com. Lancé fin 2012 par le ponte du porno, Marc Dorcel, il est présenté comme le premier site X français créé “par et pour des femmes”. J’ai l’impression d’arriver sur un site féminin: une manchette avec cinq articles, des photos soft, un fond blanc… On est loin de la maquette criarde de YouPorn, avec photos de pénétrations en tous genres et pubs trash. Le site propose surtout des longs métrages (payants). Je choisis Stoya, l’objet du désir. Stoya, c’est l’intello branchée du porno US. Auteure pour le site vice.com, elle est surtout la petite amie du plus célèbre acteur porno, James Deen, qui joue aussi dans le film. Bizarre: le site, qui insiste sur la qualité des scénarios, ne propose le film qu’en VO non sous-titrée.
Côté scènes de sexe, je comprends le succès du couple Stoya/James. La jeune femme est ravissante, n’a pas du tout un physique caricatural d’actrice porno (peau pâle et taches de rousseur, petits seins naturels, pas d’épilation intégrale). James Deen a une belle gueule.
L’histoire reste classique: Stoya s’occupe d’une grande villa, son ex, jaloux, la retrouve, le gardien (James Deen) passe par là et la sauve, avant d’inviter ses potes à partouzer dans la maison. Côté scènes de sexe, je comprends le succès du couple Stoya/James. La jeune femme est ravissante, n’a pas du tout un physique caricatural d’actrice porno (peau pâle et taches de rousseur, petits seins naturels, pas d’épilation intégrale). James Deen a une belle gueule. Ça, c’est une grosse différence avec le X traditionnel, où les hommes sont des pénis sur pattes, filmés le plus souvent la tête coupée. Le sexe est réaliste, avec baisers, caresses, préliminaires mutuels et positions pas (trop) acrobatiques. “Dorcelle a le mérite d’exister, note David Courbet, auteur de Féminismes et pornographie (La Musardine). Le site part d’une démarche marketing mais ça permet de décomplexer les filles en leur disant: ‘Vous avez le droit de regarder des vidéos de cul’.”
Le cliché des femmes romantiques
Bon, mais si je ne veux pas payer 9,99 euros le film? Direction YouPorn. Le site propose 66 catégories: européenne, noire, asiatique, rousse, rasée, poilue, etc. Tant pis, je ne peux pas choisir grand brun. Je me rabats sur la catégorie “female friendly”, qui compte 41 vidéos (contre des centaines de pages pour les autres). 17 d’entre elles ont pour thème “salle de massage”. Un masseur (ou une masseuse) s’occupe d’une jeune femme, et forcément ça dérape. Avec toute cette huile, je me demande comment ils arrivent à s’agripper sans glisser. Bref, pas mon truc. Les autres vidéos sont signées Dane Jones. Google m’apprend qu’il s’agit d’un site de “porno élégant et femmes sexy”. Chez Dane, on envoie du romantisme: musique feutrée, chambre sympa, lumière douce, draps propres. Les couples (hétéros et lesbiennes) sont mignons, les filles portent des culottes blanches. Les préliminaires, classiques, -caresses, cunnilingus, fellation- sont longs et on évite les cris hystériques, les insultes et l’éjaculation faciale. C’est propret… et ennuyeux. Il manque la sueur et les cris.
Les femmes ont plus de mal à regarder du X -ou à avouer qu’elles le font.
Alors, je m’interroge: ce type de vidéos, c’est vraiment ce que les femmes ont envie de voir? Ou bien ce que des producteurs imaginent qu’elles aiment? Ou, pire, ce qu’elles s’autorisent à regarder? Titiou Lecoq, journaliste écrivant notamment sur le sexe sur son blog Girls and geeks, a un avis tranché sur ces questions. “Dire que la sexualité féminine est plus psychologique que celle des hommes, c’est faux. Munie d’un vibro efficace, une femme peut atteindre un orgasme parfait en se concentrant sur un reportage de Thalassa”, explique-t-elle sur Slate. Pourtant, les femmes ont plus de mal à regarder du X -ou à avouer qu’elles le font. “Les vidéos pornos, dans une écrasante majorité, fonctionnent sur une dynamique d’humiliation de la femme: c’est ça qui est excitant. Pour un homme comme pour une femme d’ailleurs. Les jeux de pouvoir ont toujours animé la sexualité. Ce constat est beaucoup plus difficile à assumer pour les femmes”, juge la journaliste. Le romantisme et les scénarios seraient-ils des cache-sexe pour les filles qui n’assument pas de regarder du porno?
Réalisatrices militantes
Parce que, le but, c’est quand même l’excitation sexuelle. Entre des vidéos fleur bleue et les scènes dégradantes et violentes qui constituent l’immense majorité du X, il existe une alternative. Et c’est “une pornographie faite par une femme”, estime Sophie Bramly, fondatrice du site Second Sexe. “Les femmes ont des fantasmes sexuels comme les hommes, et elles sont excitées par les images comme les hommes. Pourquoi alors ne sont-elles pas plus nombreuses à réaliser des films pornos (ndlr: une quarantaine de réalisatrices dans le monde)? D’un point de vue idéologique, il n’y a pas de libération de la femme si elle n’a rien à dire sur ce terrain.”
Dans Five hot stories for her, d’Erika Lust (2007), il y en a pour tous les goûts: une jeune femme couchant avec le livreur de pizza, un couple sadomaso, un couple d’homosexuels qui se disputent, etc.
Partant de ce constat, un mouvement de féministes pro-sexe est né aux États-Unis dans les années 1970, initié par Annie Sprinkle, une ex-prostituée et actrice X devenue réalisatrice. Ces dernières estiment que “l’émancipation des femmes, tant sur le plan politique que sociétal, peut s’effectuer par l’entremise de ces films narrant des situations sexuelles explicites et politiquement incorrectes. La pornographie a ceci de subversif qu’elle triture les idées traditionnelles qui voudraient que les femmes n’aiment pas le sexe en règle générale et ne l’apprécient que dans un contexte de sentiments réciproques”, explique David Courbet. Ce mouvement artistique et militant est arrivé tardivement en Europe, avec les films de la Suédoise Erika Lust ou de la Française Ovidie. Dans Five hot stories for her, d’Erika Lust (2007), il y en a pour tous les goûts: une jeune femme couchant avec le livreur de pizza, un couple sadomaso, des amoureuses, un couple d’homosexuels qui se disputent et une femme trompée qui se venge en club échangiste. Finalement, c’est peut-être la réponse: il n’existe pas un seul type de porno “pour femmes”. De la même façon que nous n’aimons pas toutes le rose, certaines vont prendre leur pied avec du X gentillet, d’autres en regardant du hardcore.
Julie Coste
Cet article a été publié initialement sur Cheek Magazine.
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