Arcade Fire nous a encore une fois pris par surprise. Le 4 juin, nos valises sont à peine posées à Montréal qu’une info déboule sur Twitter : le groupe vient de donner un concert aussi privé que sauvage à la Not- man House, une vieille maison en pierre de taille jadis occupée par William Notman, […]
De concerts sauvages en écoute intégrale de l’album alors à paraître, quelques heures avec Arcade Fire.
Arcade Fire nous a encore une fois pris par surprise. Le 4 juin, nos valises sont à peine posées à Montréal qu’une info déboule sur Twitter : le groupe vient de donner un concert aussi privé que sauvage à la Not- man House, une vieille maison en pierre de taille jadis occupée par William Notman, photographe écossais émigré au Canada.
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Les petits veinards (une trentaine de personnes, des amis du groupe en majorité) qui étaient présents s’en donnent à cœur joie et postent la liste des nouvelles chansons, sans oublier de se la péter un peu. On dénombre cinq titres totalement inconnus (Ready to Start, City with No Children, Rococo, Empty Room, Modern Man) au-delà des deux propulsés voilà quelques jours sur le net (The Suburbs, qui est aussi le titre du nouvel album, et Month of May).
Les 7 et 8 juin au Théâtre Granada de Sherbrooke
Une autre info vient garnir la timeline : le groupe a décidé de donner deux concerts- surprises les 7 et 8 juin au Théâtre Granada de Sherbrooke, une ville de 150000 habitants située à l’est de Montréal. En 2007, pour son précédent album, la clique du grand Win Butler avait envahi deux églises : celle de la Fédération ukrainienne de Montréal puis celle de Saint-James à Londres.
Le retour 2010 s’annonce moins christique. Après avoir passé deux jours entiers à remuer ciel et terre pour obtenir des places, nous voilà, lundi 7 juin, en direction de Sherbrooke. Sur la highway canadienne, on imagine à quoi pourront bien ressembler les nouveaux titres du groupe. Les deux morceaux postés en ligne semblaient être débarrassés de l’héroïsme syndical que certains commençaient à reprocher au groupe : peut-être une indication.
Mis en vente la veille, les tickets se sont envolés en quelques heures
A l’entrée de la ville, de nombreuses voitures s’arrêtent pour demander la direction du Théâtre Granada. On les suit. Devant l’édifice, la file d’attente emplit toute la rue. Sherbrooke n’a sans doute jamais vu ça. Mis en vente la veille, les tickets se sont envolés en quelques heures. La file d’attente est silencieuse, les visages sont joyeux mais tendus. Passé le contrôle, les fans se jettent sur le merchandising.
On avance vers le coeur du théâtre, assez majestueux. Tout de suite, la lumière s’éteint et des cris se font entendre. Win Butler et sa troupe déboulent. Le leader et chanteur du groupe arbore une sorte de coupe avec mèche assez étrange. Régine Chassagne, sa femme et le second pilier du groupe, arbore une robe as assez glamour ; ses cheveux ont poussé, ceux du rouquin Richard Parry aussi.
Le reste du groupe arrive : Tim Kingsbury, le bassiste et guitariste, s’est empâté ; le batteur Jeremy Gara est presque barbu. Le frère de Win, Will, aux faux airs de Jack Black, semble plus motivé que jamais. La violoniste Sarah Neufeld est toujours aussi jolie.
Fini le style amish option « Petite Maison dans la prairie »
Les membres du groupe ont presque tous un large sourire, contrairement à lors de leur retour de 2007 où la tension était visible. Le look est plus détendu aussi : fini le style amish option « Petite Maison dans la prairie » ; Arcade Fire en aurait-il fini avec le rigorisme des années précédentes ?
Dès le début du concert,Will Butler joue calmement The Suburbs derrière un piano. Puis un autre nouveau morceau, Ready to Start, plus enlevé. Butler chante avec une certaine grâce, le reste du groupe est très concentré. Le public, qui ne sait pas trop à quoi s’attendre, reste un peu timoré. Suit le plus classique Keep the Car Running, avant l’inédit We Used to Wait.
Ce soir à Sherbrooke, dans sa musique comme dans sa disposition, le groupe semble plus rock. Il n’est pas rare de voir les claviers abandonnés au profit des guitares (parfois trois), des basses et des batteries (jusqu’à deux ensemble). Le son semble plus sec, plus rêche. On dirait parfois le Springsteen de la fin des années 1970 ou du début des années 1980 – les poils en moins.
Régine Chassagne se laisse aller à sa traditionnelle danse de Saint-Guy
Les versions de No Cars Go et d’Haïti sont époustouflantes de justesse : tout est joué au plus près de l’os. Sur Haïti, Régine Chassagne, qui a des origines haïtiennes, se laisse aller à sa traditionnelle danse de Saint-Guy, tandis que Win Butler, qui apparaît plus que jamais en chef de clan, termine le morceau debout sur une caisse.
https://youtu.be/V0DD22XDGjo
Le groupe enchaîne trois nouveaux titres : Rococo, Empty Room et Modern Man. On pense aux Talking Heads, bien sûr, influence avouée, mais aussi aux Cars et à Talk Talk, à des groupes qui savent jouer des morceaux parfois très complexes en donnant l’impression de dérouler du câble. C’est cette sérénité un poil effrontée que semble désormais dégager Arcade Fire.
La première heure de concert s’achève dans une ambiance assez démente
Régine Chassagne multiplie les grimaces derrière ses instruments. Will Butler fait l’andouille, c’est bon signe : vêtu d’une chemise à carreaux, il saute en l’air sans arrêt et tape sur tout ce qui lui passe entre les mains. La première heure de concert s’achève dans une ambiance assez démente, et Win Butler quitte même la scène avec le sourire – c’est assez rare pour être signalé.
Après deux rappels assez classiques et le traditionnel morceau de fin joué sans micro, Wake up, le groupe laisse son public épuisé regagner les rues de Sherbrooke. Alors que les spectateurs béats saisissent leurs smartphones pour s’épancher en ligne, une autre info tombe sur les téléscripteurs : Arcade Fire donnera le 9 juin un concert gratuit sur le parking d’un centre commercial, à Longueuil, dans la banlieue de Montréal.
Quatre concerts en six jours, un rythme de dingue. Nous ferons donc l’impasse sur le deuxième concert de Sherbrooke pour mieux nous rendre à ce nouveau rendez-vous. Mercredi 9 juin, près du pont Jacques-Cartier. C’est un centre commercial comme vous en avez un près de chez vous. Avec des magasins de chaussures, de sport, de vêtements, de bouffe, de hi-fi, de bricolage, des restos (ici le Saint-Hubert, un fast-food typique québécois genre Flunch dans lequel on mange des ailes de poulet pour le regretter dès la première bouchée, ainsi que du pain trempé dans de la sauce brune).
Des familles débarquent avec poussettes et thermos
La nouvelle de ce concert improbable s’est répandue très vite. Il est 18 heures à peine et les curieux se mêlent déjà à ceux qui chargent les coffres de leurs voitures Une grande scène est installée. Devant nous une centaine de personnes, en majorité des fans mais pas seulement : la presse locale a fait son travail et tout Longueuil s’est mobilisé.
Des familles débarquent avec poussettes et thermos. A l’arrière du parking, les gens ont installé des chaises pliantes et apporté le journal pour patienter avant de voir ce que donne ce “groupe de jeunes” dont parlent les petits enfants (“Des zoulous, certainement”, dira une petite dame avec un gros accent).
De l’autre côté de la scène, Arcade Fire se prépare dans un camping-car qui sert de coulisses. Richard Parry se marre, Win Butler et son frère s’approchent des barrières, serrent quelques louches. 19h30, le parking se remplit : plus de 2000 personnes sont déjà sur le site. Pourquoi ce concert ? Le groupe n’a pas vraiment révélé ses intentions mais son album s’appelle The Suburbs (“la banlieue”) et Longueuil en est l’archétype. Heureusement qu’Arcade Fire n’a pas intitulé son album « La Décharge municipale » ou « Le Centre de bronzage ».
Derrière la scène, un immense panneau publicitaire vante les mérites d’un livre sur l’art des grillades en plein air : Le Barbecue et ses secrets. Le public arrive en masse du métro. 19h45, un nombre important de personnes traînent désormais autour de la scène. 20 heures, un grondement se fait entendre devant la scène. C’est parti.
“Vous vous demandez pourquoi ce concert sur un parking ?”
Le groupe joue d’emblée des morceaux du nouvel album (Ready to Start et Month of May). Puis c’est No Cars Go, peut-être le meilleur morceau jamais écrit par Arcade Fire. On jette un oeil sur la foule : une bonne dizaine de milliers de personnes se sont regroupées place Longueuil.
Win Butler lance : “Vous vous demandez pourquoi ce concert sur un parking ? La réponse plus tard !” Le public se marre. La nuit tombe. Le son n’est pas génial mais lorsqu’on se retourne, 15000 personnes entourent la scène dans une ambiance digne d’un festival d’été. Quel groupe peut aujourd’hui se targuer de faire se déplacer autant de gens et aussi vite ? Les Montréalais ont gagné leur pari : le monde entier parle de ce curieux concert.
Le lendemain, il y aura ceux qui étaient place Longueuil et les autres. Que ceux qui avaient cru assister au déclin d’Arcade Fire se rassurent : la joyeuse clique de Butler et Chassagne est bien partie pour regagner les sommets. Les Beatles et U2 avaient joué sur des toits d’immeubles : Arcade Fire aura fait son concert sur un parking.
Le groupe nous a donné rendez-vous pour une écoute intégrale
Quelques jours plus tard, à Montréal, le groupe nous a donné rendez-vous pour une écoute intégrale de ses nouveaux morceaux. La rencontre a lieu dans un immense immeuble rénové de la rue Ontario. Dix-sept titres au total, alors que les albums précédents n’en comprenaient qu’une dizaine.
Les cinq premières chansons, révélées sur le net ou sur scène (The Suburbs, Ready to Start, Modern Man, Rococo, Empty Room), ne déçoivent pas sur disque. Au calme, on les découvre plus intenses et plus pop à la fois. The Suburbs s’annonce moins sombre que les autres disques du groupe. L’heure n’est pas encore à la rigolade mais Arcade Fire semble avoir oublié la rage froide pour des aventures plus excentrées.
Régine qui attaque une longue montée vers le ciel, poussée par des violons complices
The Suburbs est un album fourmillant, labyrinthique et presque débraillé, qui sera probablement plus long à dompter que Funeral ou Neon Bible. Mais au final, la joie n’en sera que plus grande. Le très springsteenien City with No Children ouvre la voie à deux morceaux regroupés sous le même titre, Half Light I et II : c’est Régine qui attaque une longue montée vers le ciel, poussée par des violons complices, alors que Win assume une seconde partie à la fois groove, aérienne et complexe.
Suivent Suburban War, sorte de mazurka pop, le single Month of May et deux morceaux plutôt folk : le pâteux mais saisissant Wasted Hours, qui laisse la place à l’étonnant Deep Blue, sur lequel la voix de Butler rappelle étrangement un Lennon seventies.
Puis c’est We Used to Wait, plutôt groove et efficace, et enfin Sprawl, morceau coupé en deux lui aussi, ouvert par un Win Butler assez solennel mais qui offre à Régine Chassagne une conclusion electro-pop d’une rare beauté : Sprawl II est une véritable perle eighties qui vous fera réécouter l’intégrale de Human League, d’Ultravox, voire d’Abba.
“Nous avons pris un break après la tournée qui a suivi le second album”
L’ensemble se conclut par une reprise du thème de The Suburbs, comme pour mieux boucler ce disque vaste que l’on se voit déjà parcourir dans tous les sens, tel un infini périphérique. La rencontre avec Chassagne et Butler est fixée en fin d’après-midi dans le même immeuble.
On est loin des mines caverneuses de la promotion qui suivit Neon Bible, en 2007. Win Butler s’explique : “Nous avons pris un break après la tournée qui a suivi le second album, nous étions épuisés. Nous n’avions pas mesuré ce qui s’était produit depuis notre premier disque, toute la pression qui avait été accumulée. Les trois années qui ont suivi la sortie de Funeral ont été terribles, tout s’est enchaîné : tournées, albums… Nous étions pris dans un tourbillon. Aujourd’hui, je ne ferais peut-être pas la même chose. A la fin, je n’avais qu’une envie : me retrouver à Montréal et ressentir les saisons, la chaleur de l’été, l’intensité de l’hiver. J’avais besoin de retrouver des sensations très simples.” Cela s’entend sur The Suburbs.
“Ce disque, c’est la bande originale d’un film qui n’existera probablement jamais” Régine Chassagne
Pourquoi ce titre au fait ? “Quand j’étais plus jeune, avec un ami, Josh, nous voulions écrire un film de science-fiction dans lequel deux villes de banlieue s’affrontaient. Nous passions du temps sur ce projet, qui contenait beaucoup de nos rêves de jeunesse. L’an dernier, j’ai revu La Jetée de Chris Marker et ça m’a rappelé ce film très étrange que nous avions écrit. J’ai décidé de m’y replonger. J’ai trouvé une vraie simplicité dans ces idées de jeunesse”, explique Win Butler. “Ce disque, c’est la bande originale d’un film qui n’existera probablement jamais”, poursuit Régine Chassagne.
Le couple s’empaille ensuite gentiment sur quelques références (les Sex Pistols et Abba) avant de se retrouver sur l’aspect fourmillant de ce disque. “Je pense que dans vingt ans, The Suburbs sera moins caricatural que nos deux premiers disques. Les chansons sont plus universelles. C’est un album plus ouvert, moins rempli de certitudes”, explique humblement Win Butler.
Il a été marqué par la tournée de soutien que le groupe a offert à Barack Obama tout au long de 2008. “Nous avons fait partie de quelque chose qui nous dépassait, explique-t-il, alors que nous avions toujours tout maîtrisé. Ensuite, il y a eu le tremblement de terre en Haïti, qui a beaucoup marqué Régine. Nous en avons conclu que la musique devait être un truc sérieux mais peut-être un peu moins que ce que nous pensions.”
Butler nous raconte la fête de la soirée d’investiture d’Obama où le groupe fut invité à jouer avec le grand Jay-Z. “Nous étions avec Barack Obama, sa femme, Jay-Z, des gens que nous respectons beaucoup, et il y avait un temps pour le plaisir, pour le relâchement. J’ai beaucoup appris de cet instant”, termine Win Butler dans un grand sourire. Encore une fois, Arcade Fire nous a pris par surprise.
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