J’ai passé mon enfance au Maroc, à Fès : dans les souks de la médina, je me suis imprégnée de couleurs, d’images, d’odeurs, de sons… Et je passais mon temps à transformer mes poupées, j’ai toujours eu le goût du style. Après, quand j’ai eu 9 ans, toute la famille est partie pour Paris où […]
J’ai passé mon enfance au Maroc, à Fès : dans les souks de la médina, je me suis imprégnée de couleurs, d’images, d’odeurs, de sons… Et je passais mon temps à transformer mes poupées, j’ai toujours eu le goût du style. Après, quand j’ai eu 9 ans, toute la famille est partie pour Paris où j’ai vécu mes premiers chocs musicaux. D’abord les disques qu’écoutaient mes frères : du jazz, du blues… A 15 ans, en 1972, premier voyage en Angleterre, premier choc en découvrant King’s Road et en particulier Seditionary, le premier magasin de Vivienne Westwood où on pouvait dénicher la mode punk et glam-rock. Toute la musique de cette époque était fermement liée à la mode.
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Quel est le premier disque que vous ayez acheté ?
Je les rachetais à mon frère, Jean Fauque, aujourd’hui parolier d’Alain Bashung, qui s’en débarrassait. Mon premier disque doit être le Dylan où on le voit descendre une rue de San Francisco avec sa guitare. Après, je lui ai racheté beaucoup de Jimi Hendrix, d’Otis Redding, de Louis Armstrong…
Comment avez-vous découvert le pop art ?
La première fois que j’ai entendu parler d’Andy Warhol, c’était à l’école : aux beaux-arts à Nantes. J’ai adoré Trash, mais j’étais tellement naïve que je n’avais pas discerné que c’était un travesti ! Ensuite, j’ai épousé Edo Bertoglio, le futur réalisateur de Downtown 81, et nous sommes partis à New York en 1976. Là, on a rencontré tous les gens qu’on voit dans le film, on a vécu l’émergence de la scène no-wave. Or Andy Warhol est l’un des premiers à avoir décelé le grand artiste qu’était Jean-Michel Basquiat.
Ce n’était pas évident ?
J’étais absolument fan de son travail, mais Jean-Michel faisait partie de la bande. Je ne pensais pas qu’on se souviendrait plus de lui que des autres. En outre, la légende qui s’est bâtie sur son nom est assez fausse. On pense qu’il est sorti un beau jour d’un carton, mais il était parfaitement instruit : il avait suivi des études d’art, il lisait Proust… Et les poèmes qu’on le voit écrire sur les murs dans le film, ce n’est rien comparé à tout ce qu’il a écrit. Se servir du mur comme support, c’était une idée de génie. Quel meilleur moyen pour toucher des gens qui n’iraient jamais dans un musée ? Keith Haring aussi avait compris ça. Quand on change les pubs dans le métro, il y a toujours un laps de temps où le carton est noir : eh bien, Keith arrivait avec sa craie et il dessinait. Mais Jean-Michel était bien davantage qu’un graffiteur. Il était poète, peintre, illustrateur… Je l’ai côtoyé dix ans, de 1978 à 1988, c’est-à-dire que je l’ai vu passer de la rue à l’institution. Et d’ailleurs, il en a souffert : il a fini par comprendre qu’il était devenu une machine à sous, qu’on achetait ses toiles pour faire un placement. Du coup, à la fin de sa vie, il ne voulait plus peindre.
Vous présentez Basquiat comme une victime du système commercial, mais vous avez également été très proche de Madonna qui, à l’inverse, incarne parfaitement ce système.
Quand j’ai rencontré Madonna en 1982, elle n’avait sorti que trois singles. Cette petite nana toute fraîche m’a demandé : « Qu’est-ce que tu peux faire pour mon look ? » J’ai eu une vision d’elle dansant en soutien-gorge, alors je lui ai répondu : « Est-ce que tu portes un joli soutien-gorge ? » Elle a écarquillé les yeux, et finalement, elle a éclaté de rire en me prenant au mot. Quelques semaines plus tard, on faisait sa première pochette de disque avec les fameux rangs de bracelets en caoutchouc qui étaient à l’origine des joints de tuyaux. Mon truc à l’époque, c’était de détourner les objets usuels de leur utilisation pour en faire des bijoux, des accessoires. Pour en revenir à Madonna, j’étais loin de m’imaginer à l’époque qu’elle allait avoir une telle carrière. Alors évidemment, elle a une ambition hors du commun, mais ça ne m’empêche pas de la considérer comme une artiste. On ne peut nier qu’elle a ce don d’aller chercher des pointures underground, comme Mirwais l’année dernière.
Revenons au cinéma.
Je ne comprends pas pourquoi on parle aussi peu du mouvement de cinéma no-wave. C’était, entre 1976 et 1985, une émanation de la scène musicale et artistique de l’East Village qu’on voit dans Downtown 81. Les principaux cinéastes de ce mouvement étaient Amos Poe, Jim Jarmush, Eric Mitchell, John Lurie, Richard Kern, etc. Le cinéma no-wave, c’était un mélange de série B, d’avant-garde et de Nouvelle Vague française, le tout à la sauce new-yorkaise. Le premier film d’Amos Poe, The Blank Generation, tient la chronique des premières performances de Patti Smith, Television, Blondie, etc. Je voudrais monter une rétrospective à Paris de tous les films de la no-wave, avec par exemple le premier film dans lequel joue Vincent Gallo : The Way it is d’Eric Mitchell, une magnifique relecture d’Orphée aux Enfers de Cocteau.
Quel serait l’équivalent en littérature ?
C’est antérieur : la beat generation avec Kerouac, Ginsberg, Burroughs, etc. Si des artistes, des poètes, n’avaient pas jeté ce pavé dans la mare, il n’y aurait pas eu la continuité. Au fond, c’est la même chose avec Rimbaud. Aujourd’hui encore, il a chaque jour de nouveaux héritiers.
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Maripol a produit et joue dans le film Downtown 81, en salles cette semaine. On peut aussi voir jusqu’au 7 avril une exposition de ses polaroïds et tirages originaux, Paris-Downtown: the 80’s by Maripol & Edo à l’Espace Frédéric Sanchez, 5, rue Sainte-Anastase, Paris IIIe.
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