Malgré ou à cause d’une débauche de moyens, l’exposition du Grand Palais échoue à rendre la spécificité et le mystère du génie espagnol.
L’art du floutage
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D’après l’historien d’art Daniel Arasse, il faut savoir regarder – longtemps et parfois de près – pour que “la toile se lève”. Pourquoi alors l’exposition-blockbuster que le Grand Palais consacre au maître du Siècle d’or espagnol Diego Velázquez (1599-1660) ne permet-elle pas de percer le mystère et la spécificité de ce génie ? Entre les peintures de son “vieux maître” Pacheco, auquel il est d’abord confronté, et la mini-exposition consacrée en fin de parcours à son disciple Juan Bautista Martínez del Mazo, entre le caravagisme qui anime ses contemporains, les influences marquées de la peinture italienne et la rencontre impressionnante avec Rubens – sans compter les toiles qui lui furent longtemps attribuées, qui ne le sont plus mais qu’on expose quand même –, l’art de Velázquez se trouve peu à peu comme flouté. Daniel Arasse dirait : “On n’y voit rien.”
Question d’espace
Le début est un dédale où l’on se croirait encore dans les salles noires conçues pour les installations vidéo de Bill Viola. La peinture ne s’y prête pas facilement : dans ces alcôves, la foule peine à circuler ; rien ne s’offre à la confrontation. Même le Portrait du pape Innocent X (photo), chef-d’œuvre de 1650 qui a tant marqué Francis Bacon et que le pape aurait trouvé “trop vrai”, est exposé sur un petit pan de mur noir parmi d’autres toiles, au lieu d’occuper seul une pleine salle, avec de l’espace, histoire de ménager l’émotion esthétique. Heureusement, dans les grandes salles blanches, l’imposant tableau équestre du prince Baltasar Carlos donne toute la puissance de Velázquez. Plus loin, le dialogue entre sa très vénitienne Vénus au miroir et la statue antique de l’Hermaphrodite endormi que Velázquez avait admirée à Rome est un autre moment remarquable de l’exposition. Comme quoi, une analogie, un anachronisme plastique ne font pas de mal à la visualité d’une expo ; le parcours chronologique traditionnel voulu par les historiens de l’art et conservateurs du Louvre ne garantit en rien une exposition de haute qualité. Un excellent catalogue ne fait pas forcément une bonne exposition.
Faute de Ménines
Au milieu de tout ça, un tableau fait défaut, ce sont Les Ménines, chef-d’œuvre resté au Prado de Madrid. Mais un seul tableau vous manque, et l’exposition est dépeuplée. Car en dépit des quarante-neuf autres œuvres du génie espagnol, chiffre record, on ne retrouve pas vraiment le Velázquez de Foucault (dans Les Mots et les Choses), ni de Lacan (dans le séminaire intitulé L’Objet de la psychanalyse). Ce ne serait pas un problème si la rétrospective offrait un nouveau regard, une nouvelle lecture – mais non, c’est un panorama large, sans profondeur, sans idée, sans vision.
Velázquez en quatre chiffres
1628
La date d’une rencontre exceptionnelle entre Velázquez et l’immense peintre Rubens, qui séjourne huit mois en Espagne. Ensemble ils visitent le palais de l’Escurial, et Velázquez, admiratif, regarde Rubens en train de peindre.
49
Le nombre de toiles attribuées à Velázquez exposées au Grand Palais. Un chiffre impressionnant quand on sait que le peintre espagnol n’en a qu’une centaine à son actif.
700
Une somme assez élevée, exprimée en réaux, pour l’époque : c’est ce qu’a payé en 1652 le marquis de Heliche pour acquérir un des chefs-d’œuvre de Velázquez, la Vénus au miroir. Elle sera acquise 45 000 livres en 1906 par les Anglais pour les collections de la National Gallery de Londres.
12
C’est le montant de l’allocation journalière, en réaux, que le roi d’Espagne Philippe IV accorde en 1628 à son peintre officiel. Elle est égale à celle obtenue par les barbiers du roi.
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