Avec la suspension de Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du Front National, le député européen du FN Bruno Gollnisch apparaît de plus en plus isolé au sein du parti. Quel avenir pour l’un des derniers représentant de l’extrême droite historique ?
« Mes chers amis, nous pouvons évidemment poursuivre ce psychodrame, avec les raisons, bonnes ou mauvaises jusqu’à midi, jusqu’à 6 heures, jusqu’à minuit. Chacun sait très bien qu’il n’en résultera rien. (…) les problèmes qui se posent, ou qui peuvent se poser, ne se traitent pas (…) avec des interpellations, avec des interruptions, avec des cris, avec des vociférations. Cela, même si vous estimez voir raison sur tout, c’est le moyen de péter le mouvement. »
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Ces paroles*, Bruno Gollnisch les a tenues le 5 décembre 1998, en plein comité central du FN où partisans de Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen ont soldé leurs comptes, débouchant sur la scission du premier avec le parti. Mais il aurait tout autant pu les avoir tenu ces derniers jours, après la suspension du président d’honneur du FN, suite à des propos tenus sur BFM et dans la publication Rivarol.
Au lendemain du bureau exceptionnel du 4 mai 2015, il ne restait guère – comme déjà en 1998 – que Bruno Gollnisch pour soutenir le « Menhir », faisant de lui l’un des derniers représentant de l’extrême droite historique. « Je suis extrêmement attristé et stupéfait par la tournure que prennent les événements », a déclaré le député européen sur RMC le mardi 5 mai.
« J’ai échoué dans ma démarche d’apaisement »
Contacté par les Inrocks, Bruno Gollnisch commente l’énième crise que traverse le parti fondé en 1972 : « J’ai essayé d’empêcher le conflit et de rabibocher le camp du père et de la fille. Mais j’ai échoué dans ma démarche, je le reconnais. Il aurait pourtant été facile d’acter un retrait de Jean-Marie Le Pen et qu’il ne parle plus au nom du parti, sans en arriver à cette suspension. »
Pour autant Bruno Gollnisch ne croît pas à l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du Front National. Une « assemblée générale extraordinaire » doit être convoquée par la présidente du FN d’ici trois mois, afin de modifier les statuts. Bruno Gollnisch trouve d’ailleurs l’idée « très étrange d’un congrès par correspondance » ayant pour objectif de de changer les statuts du parti et de supprimer le poste de président d’honneur tenu depuis 2011 par Jean-Marie Le Pen.
Jean-Marie Le Pen a préféré sa fille à son ami fidèle
Au sein du parti d’extrême droite, celui que l’on surnomme « le samouraï » (pour son flegme et parce qu’il a épousé une japonaise ndlr) a régulièrement joué la carte de l’apaisement. Malgré le manque de solidarité de Jean-Marie Le Pen, cet universitaire bardé de diplômes est toujours resté fidèle à son ami. Pourtant Le Pen qui avait déclaré un jour : « le sort des dauphins, c’est parfois de s’échouer », a tout fait pour empêcher que Gollnisch ne récupère les clés du mouvement.
Retour en 2003, lors du congrès de Nice, Gollnisch subit le « parachutage » de Marine Le Pen au sein du comité central du parti. C’est pire quatre ans plus tard lors du congrès de Bordeaux puisque la délégation générale, fief de Gollnisch, est tout simplement supprimée au profit de deux vice-présidences dont l’une dite « exécutive », attribuée à Marine Le Pen. « C’est le grand tournant, il n’a cessé depuis d’être mis à l’écart », témoigne Carl Lang, ancien secrétaire général proche de Bruno Gollnisch au FN – qu’il a quitté en 2008. « Je sortais d’un triple pontage coronarien, j’étais à deux doigts de clamser, confie Gollnisch dans ‘Histoire du Front National’ (édition Tallandier) co-écrit par Dominique Albertini. Au congrès de Bordeaux, je vois bien qu’il y a une volonté de promotion de Marine Le Pen et de ceux qui al soutiennent, mais je ne pouvais pas faire grand chose ».
Le « gollnischien », une espèce en voie de disparition au FN
Au fil des années, le militant « gollnischien » est devenu une espèce en voie de disparition au Front national. La plupart de ses amis (Carl Lang, Bernard Antony…) ont fini par claquer la porte du parti. Dans ‘Histoire du Front National’ (édition Tallandier) de Dominique Albertini, Gollnisch estime que sa défaite face à Marine Le Pen lors de la succession à Jean-Marie Le Pen est liée à cette vague de départs : « Si j’avais abordé la campagne interne avec Jean Verdon qui tenait la région Centre, Bernard Antony, patron dans le Sud-Ouest, Martial Bild tenant Paris, il est tout à fait clair que j’aurais pu remporter la campagne interne. Je m’en veux de ne pas leur avoir peut-être assez dit explicitement que je serais candidat à la présidence du mouvement que Le Pen le veuille ou non. Malheureusement ils ont quitté la barque, ce qui fait que je me suis retrouvé relativement isolé ».
Lors des dernières élections européennes, Bruno Gollnisch a subi un ultime camouflet lorsqu’il a été remplacé comme tête de liste dans la circonscription Est au profit de Florian Philippot. Même s’il a finalement pu être élu car Jean-Marie Le Pen l’a repêché et inscrit sur sa liste en région PACA.
« Mes ambitions politiques sont derrière moi »
Si Bruno Gollnisch a été l’un des rares à prendre ouvertement position pour Jean-Marie Le Pen dans les médias, c’est aussi car son avenir politique s’inscrit désormais en pointillé. Minoritaire face à Marine Le Pen, le député européen affirme ne plus craindre de perdre son investiture lors des prochaines élections européennes. Il nous le confirme : « Je suis encore élu pour quatre ans. Et vous savez, mes ambitions politiques sont derrière moi. Je lutte avant tout pour que le parti ne s’effrite pas du fait de ces dissensions internes. »
Une prise de position qui ne surprend pas pour autant Alexandre Dézé, maître de conférences en science politique à l’Université Montpellier 1 et auteur de Le Front national : à la conquête du pouvoir ? (édition Armand Colin), qui l’a rencontre à plusieurs reprises : « C’est quelqu’un qui s’est toujours montré fidèle à l’organisation partisane du FN, ne faisant pas passer ses intérêts au premier plan. Il reste avant tout attaché au parti, à sa cohérence et à sa structure. Il n’est pas dans un processus scissionniste. Pour autant, il ne prend pas énormément de risque, il sait pertinemment qu’il ne représente pas une menace directe pour la présidence actuelle du FN. »
« Gollnisch fera partie de la prochaine fournée »
Jean-Marie Le Pen mis sur la touche par sa fille et Bruno Gollnisch effectuant son dernier mandat politique c’est un chapitre entier de l’histoire de FN qui vient de se fermer à l’issue de cette Assemblée générale extraordinaire. Pour Carl Lang, Bruno Gollnisch « fera partie de la prochaine ‘fournée’, puisqu’il s’agit d’un terme à la mode après la mise à mort politique et électorale de Jean-Marie Le Pen ». Marine Le Pen se débarrassera de tous les cadres historiques qui entouraient son père. C’est dans l’ordre des choses et ça correspond à sa stratégie. Quoi qu’il en soit, Bruno Gollnisch n’a plus aucun avenir politique au sein du FN de Marine Le Pen qui est dans une stratégie d’élimination et de purge. Le temps de la réconciliation est depuis longtemps dépassé. »
Ce mardi, Jean-Marie Le Pen a annoncé sur Radio Courtoisie la création d’une nouvelle formation politique « qui ne sera[it] pas concurrente [du FN], qui ne sera pas un parti représentera, a-t-il précisé, un parachute contre le désastre, de façon à peser pour rétablir la ligne politique qui est celle qui a été suivie depuis des décennies ». Bruno Gollnisch en fera-t-il partie ? Interrogé par les Inrocks, il nous a confirmé ce matin qu’il pourrait « éventuellement » suivre une nouvelle fois Jean-Marie Le Pen.
Julien Rebucci
*Cette citation est extraite du livre de Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN (ed. Nouveau Monde poche)
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