“Mad Men” revient pour un dernier tour de piste, avec la deuxième moitié très attendue de cette septième et ultime saison. Chaque semaine, nous revenons sur le nouvel épisode de la série de AMC. Recap, 100% spoilers.
Un jour, nous murmurerons tous: « Je me souviens de Betty« . Elle, la blonde que nous prenions pour un glaçon ardent hitchcockien, était en réalité depuis le début une héroïne de mélodrame. C’est ce que démontre l’avant-dernier épisode de Mad Men, The Milk and Honey Route. On en retient d’abord la silhouette gracile de l’ex-femme de Don Draper s’effondrant dans les escaliers de l’université où elle vient à peine de reprendre des études.
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Un médecin annonce le fatal diagnostic : un cancer des poumons métastasé lui laisse moins d’un an. Son sort est scellé de la manière la plus brutale qui soit, mais aussi la plus logique. Le tabac tue et il fallait bien que l’une des étoiles de Mad Men meure d’avoir trop cramé de Lucky Strike sans se soucier du lendemain. Ce sera donc Betty, elle qui tirait sur sa clope et shootait en même temps les pigeons du voisin, dans l’un des moments les plus iconiques de sa vie de housewife décalée – saison 1, épisode 9.
Un tombeau pour Betty Draper
Contrairement à Breaking Bad, la série de Matthew Weiner (qui a réalisé lui-même cet épisode, d’une durée de 53 minutes) ne prend pas la maladie comme un motif de suspens, ni même comme une métaphore de l’état du monde. En faisant arriver le cancer si tardivement dans le récit, elle y voit plutôt une façon d’élargir le sens une dernière fois, de creuser l’humanité d’un personnage et de ceux qui l’entourent dans le flux implacable de la vie, résumant certains de ses enjeux sous un jour émotionnel fulgurant.
La dénonciation radicale du sexisme comme atteinte à la liberté fait partie de ces enjeux – une constante cette saison, encore plus dans les précédentes. Dans un moment glaçant, c’est en s’adressant exclusivement à son mari Henry que le médecin évoque la maladie de Betty et les traitements (im)possibles. La jeune femme est présente au premier plan de l’image, profil impassible et tragique, pendant qu’il parle d’elle à la troisième personne.
Alors qu’on l’a longtemps crue détachée de tout, presque dévitalisée depuis qu’elle avait quitté Don et du même coup le centre de Mad Men, Betty prend ici une revanche au goût amer, mais une revanche quand même. C’est elle qui choisira sa mort, la robe dans laquelle elle sera enterrée, c’est elle dont on se rappellera qu’elle a parlé à sa fille Sally avec une classe infinie, avant de lui laisser une lettre déchirante. C’est elle que l’on regrettera presque malgré nous, remplis de sa lucidité. On a beaucoup évoqué la cruauté de la série pour ses personnages, sans toujours souligner l’amour inconditionnel qu’elle leur portait en même temps. Comment interpréter ce « Tombeau pour Betty » autrement que comme un geste de dévotion et de fidélité ?
Pete évite la lose
Si les autres événements de l’épisode n’ont pas semblé fades à côté de ce sommet affectif, c’est parce que Matthew Weiner a choisi ses combats avec parcimonie. Joan, Peggy et Roger étaient absents car la dispersion narrative n’est pas sa méthode. De plus en plus clairement, le rush final de Mad Men se déploie comme un fleuve fictionnel à la fois logique, précis et poétique. Sans qu’on n’aie jamais le sentiment d’une démarche scolaire, plusieurs figures de la série ont déjà connu une vraie conclusion à leur aventure – Megan, Joan, Peggy, que l’on retrouvera peut-être, mais pas de manière certaine.
Cette fois, c’était au tour de Pete Campbell. Arrogant, frustré, mal coiffé, le personnage interprété par Vincent Kartheiser est sans doute l’un des plus retors et en même temps les plus délicieusement lisibles jamais inventés à la télévision.
De ce contraste fort, Weiner a fait une sorte de chef d’œuvre ambulant, un type veule et néanmoins émouvant, à qui on pourrait tout pardonner sans comprendre vraiment pourquoi. C’est ce que fait son ex-femme en acceptant de partir pour Wichita, pas vraiment la définition du glamour selon les standards bourgeois, même si son ex-futur mari y travaillera comme cadre dans une entreprise de jets privés avec des conditions en or.
Au cours des sept saisons de Mad Men, Pete, comme Peggy, a traversé de nombreuses zones de turbulences mais finalement fait fructifier son avantage générationnel de jeune loup. Il a même réussi à ne pas terminer comme un loser ridicule, ce qui laisse pantois.
Don seul au milieu de nulle part
Et Don, au fait ? Depuis le milieu de l’épisode précédent, Matthew Weiner a pris le risque calculé de le séparer des autres. A part un contact avec sa fille au téléphone, mister Draper est coupé du monde tel qu’il le connaissait. Le processus d’évidement, débuté il y a quelques épisodes et que l’on pouvait croire parvenu à son terme, se poursuit. L’ex-publicitaire, désormais embarqué dans un road trip solitaire, s’est séparé de tout, y compris de sa voiture. Au dernier plan avant le générique, Don n’a plus qu’un sac minuscule avec lui et attend le bus au milieu de nulle part.
Echoué dans une petite ville, il vient d’agiter une dernière fois sa légende en participant à une soirée d’anciens combattants avinés, leur faisant croire qu’il avait traversé la guerre de Corée comme lieutenant, avant de balancer l’un de ses secrets autrefois inavouables. Dans la foulée, Don a été victime d’une minable escroquerie de la part d’un usurpateur beaucoup plus jeune et beaucoup moins doué que lui, l’homme de ménage de son motel. Cela a valu au kid un peu présomptueux une leçon sur la responsabilité de ceux qui choisissent de se faire passer pour d’autres. Don en connaît un rayon sur la question. Mais la dissimulation ne lui sert plus vraiment. Il dialogue désormais en ligne directe avec celui qu’il fut, l’orphelin, le fils de pute Dick Whitman.
Le reste, Draper s’en fiche un peu. Il sait que la question de la vérité et du mensonge n’a plus lieu d’être pour les autres et qu’elle ne compte que pour lui. Totalement rendu à lui-même, il traine autour de son corps et ne ressent plus rien que le vague contentement de celui qui s’est délesté de tous les poids possibles. Est-ce la définition du bonheur ou de la terreur ?
Olivier Joyard
Mad Men, saison finale. Le mardi à 22h15 sur Canal Plus séries. Le jeudi à 22h55 sur Canal Plus.
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