Valery Gergiev et l’Opéra du Kirov de Saint-Pétersbourg proposent deux versions d’un même chef-d’oeuvre. Debussy admirait tant cet opéra qu’il avoua avec ironie et gravité qu’il y avait “tout Pelléas là-dedans !” et Ravel l’apprécia au point d’offrir la plus accomplie des versions orchestrales de ses Tableaux d’une exposition, à l’origine pour piano… Refusé une […]
Valery Gergiev et l’Opéra du Kirov de Saint-Pétersbourg proposent deux versions d’un même chef-d’oeuvre.
Debussy admirait tant cet opéra qu’il avoua avec ironie et gravité qu’il y avait « tout Pelléas là-dedans ! » et Ravel l’apprécia au point d’offrir la plus accomplie des versions orchestrales de ses Tableaux d’une exposition, à l’origine pour piano…
Refusé une première fois en 1871 parce qu’il ne comportait pas de personnage féminin, l’unique opéra achevé de Moussorgski, Boris Godounov, faillit bien disparaître à tout jamais. Remanié par le compositeur, puis par son ami Rimski-Korsakov et encore plus tard par Chostakovitch (sans oublier Rathaus, en 1948 !), Boris connut bien des déboires et de nombreuses versions jusqu’à ce que, au milieu des années 70, soient établies deux partitions bien distinctes, l’originale de 1869 et la seconde de 1872.
Pour la première fois, un chef d’orchestre, Valery Gergiev, a choisi de les enregistrer toutes les deux, dans leur continuité, non pour les opposer, mais plutôt pour en apprécier toutes les subtilités et les richesses respectives. Au théâtre noir, violent et implacable de la version primitive en huit scènes, succède la somptuosité rutilante de la seconde, plus longue, avec en particulier de nouvelles scènes (l’acte polonais et le tableau de la forêt de Kromy), des ajouts de Moussorgski et Rimski-Korsakov, et ses nombreux choeurs.
Balayant le bon vieux principe d’une structure narrative linéaire, le compositeur superpose plusieurs événements et renforce ainsi les changements d’atmosphères. Dans cette perspective, les deux derniers tableaux du final sont réversibles ; soit l’ouvrage se clôt sur la « mort de Boris », soit sur le peuple russe personnage à part entière de l’opéra, à la fois manipulé et d’une incontrôlable liberté qui, par la voix de l’Innocent, prophétise famine et malheur inéluctables pour le pays.
Sur un plan musical, avec Moussorgski, le chant est intimement lié à l’orchestre ; comme chez Monteverdi, ou plus tard dans l’oeuvre lyrique de Debussy, Janacek, Prokofiev, Chostakovitch et Enesco (véritables héritiers du Russe à des degrés divers), la courbe instrumentale suit les moindres inflexions de la voix, confondant langage parlé et chanté à la manière d’un récit épique. Un sens du réalisme, basé sur les mélismes de la mélodie populaire, qui s’exprime avec une telle intensité lyrique qu’il bascule dans un univers fantastique, intemporel.
Ceux qui ne connaîtraient pas encore cet opéra peuvent se précipiter les yeux fermés sur cet enregistrement d’une qualité incomparable ; les autres savent déjà qu’ils disposent désormais d’une version de référence, à laquelle ils ont tant rêvé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}