Comédie musicale, film, performance, poésie sonore : la 15e édition d’Actoral, festival des arts et des écritures contemporaines, démarre en fanfare.
Costumes flamboyants, pailletés d’or, en accord avec la pluie rutilante de couvertures de survie tombant des cintres pour le tableau final : Sound of Music de Yan Duyvendak a donné le coup d’envoi d’Actoral avec une comédie musicale collaborative réunissant une équipe de choc : le performer suisse à la mise en scène, Olivier Dubois à la chorégraphie, Christophe Fiat pour les textes et chansons, Andréa Cera pour la composition musicale et une douzaine de danseurs de Broadway auxquels s’ajoutent une vingtaine d’amateurs ou apprentis danseurs de Marseille pour un finale splendide et débordant d’énergie.
Un cauchemar heureux
Un sujet grave traité avec désinvolture qui évoque le titre d’un roman de Milan Kundera, L’Insoutenable Légèreté de l’être : la fin du monde, ni plus ni moins, annoncée par des dizaines de scientifiques si l’humanité continue sur sa lancée de surconsommation effrénée. Un suicide collectif masqué par l’insouciance et l’inconscience, « un cauchemar absolu qui rend heureux« , conclut Yan Duyvendak en présentant Sound of music :
“Une comédie musicale, spectaculaire, absolument éblouissante, avec une histoire, une fin heureuse, des corps sublimes, de la technique virtuose, des lumières aveuglantes. Parce que c’est beau. Parce que ça fait du bien. Parce que c’est nécessaire de lâcher prise, momentanément, en tant que citoyen du monde. Mais simultanément, de dire que l’abrutissement est néfaste. Qu’il ne faut pas lâcher. Qu’il est nécessaire de réfléchir. De se positionner dans le monde. Que la culture qui éclaire n’est pas celle qui aveugle. Et donc d’éclairer l’aveuglement de la comédie du monde. »
Si Sound of music était une chanson, le suicide en serait le refrain et les couplets la litanie de ses causes : les ouvriers d’une usine d’iPhones qui se donnent la mort, les infections banales qui redeviennent mortelles, les déchets plastiques qui envahissent les océans, le pourcentage en hausse constante du suicide des jeunes… Un catalogue de désastres amplement documenté par le flux continu d’informations qui contribue à la confusion générale.
Alors, dans la vie comme sur le plateau de Sound of music, trop d’informations tue l’information. Même les plus sombres des prédictions des scientifiques qui prévoient, si rien n’est fait au plus vite pour contrecarrer la logique suicidaire de la surconsommation, un effondrement de tous les systèmes écologiques en 2100 et qui annoncent que toutes les conditions sont en place pour que la civilisation humaine s’effondre d’ici 2040. Mais peut-être faut-il risquer cet effet déceptif sur le public pour saisir l’analogie entre la vie réelle et la prise de conscience à laquelle s’attellent les artistes.
Uneaventurecollectiveréjouissante
C’est une autre vision du groupe et de l’utopie que met en œuvre César Vayssié avec UFE (unfilmévénement) qui se décline sous deux formes : un film de deux heures trente et une performance d’une heure explorant les mêmes thèmes : l’intime, le politique et l’art à travers l’expérience d’un groupe de jeunes hommes et femmes déterminés à s’opposer à la logique ultralibérale de la société en formant un phalanstère joyeusement foutraque, qui fait de la prise d’otage le détonateur d’une aventure collective réjouissante…
« Dès son origine, le projet a été pensé pour des jeunes comédiens car il y avait l’envie, au départ, que ce soit l’histoire de la naissance d’un projet qui raconte l’apparition de la volonté politique, la découverte de l’amour et la genèse de l’élan artistique. Je voulais réaliser un film sur la relation entre ces trois formes d’engagements. Il y a de fait une forme de naïveté dans cette exploration que l’on retrouve dans l’image et de nombreux codes visuels. » Une naïveté réjouissante qui place au même niveau, sans se voiler la face, la beauté du geste et la désillusion, l’élan créateur, la puissance de la séduction et le conflit, la peur, l’isolement. Une expérience enthousiasmante…
L’œil et la bouche
Parrain de cette édition, le poète Jérôme Game qui présente trois projets pour Actoral, nous a offert une lecture détonante, A travers, qui porte bien son nom puisqu’il s’agit d’un montage textuel réalisé en piochant dans ses livres publiés depuis dix ans. Une parole qui achoppe, mange et gomme les mots, défie l’écrit pour embrasser l’oralité, seule à même de restituer le sens des mots et le flux verbal d’une pensée qui s’élabore en prenant acte de ses manques, absences, distorsions sonores et que lui-même qualifie de « dérapage verbal incontrôlé« .
Une écriture qui relie directement l’œil et la bouche : dire ce qu’on voit, dire comme on voit ; un instantané qui s’imprime dans la rétine et que la langue restitue à la même vitesse, concise et limpide, une langue trouée semblable aux clignements de paupières qui n’obstruent pas le regard mais le rythment et deviennent respiration. On retrouvera Jérôme Game à Actoral dans l’exposition Prétexte=2 du 29 septembre au 11 octobre et en concert-performance avec Chloé le 9 octobre.
Festival Actoral à Marseille, jusqu’au 10 octobre.
En tournée : Sound of music, de Yan Duyvendak, du 2 au 9 octobre à Nanterre-Amandiers, 14-15 octobre au Carré-les Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles, 27-31 octobre à Vidy Lausanne.