Passage en revue de quelques disques récemment réédités par le label anglais Domino, spécialisé en rock américain patraque. De Palace à Jim O’Rourke, en passant par Pavement.
C’est au début des années 90 que surgit Domino, label indie anglais, fondé par un certain Lawrence, ancien employé du label Big Cat, ayant décidé de voler de ses propres ailes. A l’époque, Lawrence se lance grâce à l’appui de Sebadoh, le groupe de Lou Barlow, qui lui offre la licence d’un disque pour l’Europe. La maison Domino est ainsi constituée, depuis la chambre à coucher de Lawrence, avec comme modèle esthétique de départ, le rock américain un peu patraque ou lo-fi, alors émergeant. De fait, Domino a été bâti sur le modèle d’autres labels indies américains, Sub Pop et, surtout, Drag City. Longtemps, d’ailleurs, Domino sera perçu comme la tête de pont de Drag City. Normal : le label sort en Europe la plupart des disques-clés de son homologue américain.
On découvrira ainsi les disques de Smog, Royal Trux, mais aussi ceux de Palace et Pavement, rescapés du naufrage Big Cat. Après une période initiale, effectivement vouée au rock US, des environs de Chicago, Domino a développé son catalogue en intégrant des formations anglaises (Pram, Cinema, Third Eye Foundation , Pastels, etc), et en essayant de lui donner des saveurs un peu moins rock, un peu plus électroniques.
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Ces jours-ci, le label ressort une poignée de ses disques fondateurs, épuisés depuis quelque temps. Revue en détail :
Palace Brothers There is no one what will take care of you 1993 |
Album mythique, séminal, qui garde toutes ses vertus, ses charmes et ses sortilèges. Sorti en 1993, ce disque a été la porte d’entrée vers l’univers déjanté de Will Oldham, habité par des fantômes et des spectres bucoliques. La country n’a jamais été aussi habitée et maigre, c’est-à-dire sans gras, sans vaches folles.
Pavement Westing (by musket and sextant) 1993 |
Compilation des premiers singles du groupe, Westing est un panorama assez juste du son de Pavement, à ses débuts, alors que le groupe se prenait pour une réincarnation américaine de Can ou Faust : un son cru, âpre, sauvage, mêlé de regains sauvages et de sursauts magistraux. Le rock, à l’époque, ne ressemblait pas à cela : Pavement l’a abattu, et s’est, depuis, magistralement sabordé.
Summer Baby, un des singles du groupe ici repris, reste un classique de slack-rock expérimental. Un vrai théâtre de la cruauté.
Royal Trux Royal Trux 1988 |
Marrant de réécouter le premier album de Royal Trux, à l’origine sorti sur le propre label du groupe, alors même que Jennifer Herrema et Neil Hagerty ont mis fin à leur collaboration. A l’époque, en vacances de Pussy Galore (le premier groupe de Jon « je suis sexy et j’ai une grosse voix » Spencer, Hagerty (qui a appris à ses confrères de Pussy Galore tous les accords du Exile on Main Street des Rolling Stones) s’acoquine avec Herrema et monte Royal trux, groupe de rock déjanté, complètement imprévisible, complètement camé. Leurs deux premiers albums sont des classiques de rock halluciné (comme le prouve le très hypnotique Zero Dok, qui ouvre ce disque), mêlant bruitages de jeu vidéo et Can, Sonic Youth et free jazz (quelques années avant que Thurston Moore ne se découvre une passion pour le genre). Plus tard, Royal Trux se calmera, ira vers des rivages nettement plus stonien, effectuant une belle « rock’n’roll swindle » : Virgin leur paiera un million de dollars pour se débarasser d’eux. Le groupe reviendra alors dans le giron de Drag City / Domino. Royal Trux aura en tout cas longtemps été le chouchou de Lawrence, boss de Domino, sa jolie danseuse, qu’il aurait aimé exhiber davantage. Dans quelques années, on chérira leurs disques, comme ceux de Faust ou Amon Duul : c’est à dire sans rien y comprendre.
Smog Julius Caesar & Burning Kingdom 1993 & 1994 |
Smog est le roi du 4-pistes, le maître incontesté des chansons crades, des accords salopés, des perles qui brillent par leur noirceur et leur âme éraflée. Burning Kingdom (sorti en 1994) et Julius Caesar (1993) sont les deux pierres de touche de sa première période : celle où il découvrait tout son art, mais le laissait enfoui, sous des couches de larsen et de distorsion. Aujourd’hui encore, My Shell (Electric Version) qui ouvre Burning Kingdom demeure un moment intense de rock’n’roll sauvage, avec sa guitare à la Jesus & Mary Chain, sa batterie aux accents velvetiens et cette voix qui hurle au loin, incapable de hausser le ton, mais qui tremble de colère et d’émotion.
Sur Julius Caesar, Smog s’invente, le temps d’un I am Star Wars, une peau fracassée et irritée, montée avec deux balles et du scotchde fortune. Chansons brutes d’amours brutales, les compositions de Smog s’affineront jusqu’à atteindre une fragilité cruellement irritante. Aujourd’hui, Julius Caesar a nettement vieilli : on conseillera aux curieux de se procurer Red Apple Falls ou d’essayer de dénicher le beau maxi sorti au milieu des années 90, Your New Friend, sommet de minimalisme à vif.
Jim O Rourke Bad Timing 1997 |
On a tellement écouté Bad Timing (et son successeur Eureka) qu’on n’imaginait même pas qu’ila pu être épuisé ou indisponible. En 4 morceaux, Jim O Rourke abandonne ses vieilles manies d’electroacousticien, et laisse parler ses démons pop, glanés chez John Fahey, Jack Nitzsche et Van Dyke Parks : un disque somptueux, dans lequel O Rourke met son art de constructeur musical au service d’une musique mélodique et harmonieuse, sans paroles mais pleine d’émotions.
L’envolée calme de cuivres sur la dernière plage, est un moment de bonheur intense, pareil à l’envol d’un albatros, sans bruit, magistral. Un grand disque. Sans doute, avec le premier Palace, le meilleur de la sélection’
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