Lorsque en 1989 le Festival de Montréal décide d’organiser en l’honneur de Charlie Haden une série de huit concerts exceptionnels, le contrebassiste revisite ses territoires explorés aux côtés de Paul Bley, Don Cherry, Ed Blackwell, Pat Metheny, le Liberation Music Orchestra… Il ouvre aussi des perspectives sur l’avenir en invitant deux jeunes pianistes aux styles […]
Lorsque en 1989 le Festival de Montréal décide d’organiser en l’honneur de Charlie Haden une série de huit concerts exceptionnels, le contrebassiste revisite ses territoires explorés aux côtés de Paul Bley, Don Cherry, Ed Blackwell, Pat Metheny, le Liberation Music Orchestra… Il ouvre aussi des perspectives sur l’avenir en invitant deux jeunes pianistes aux styles diamétralement opposés à venir affronter l’épreuve initiatique du trio. L’un est cubain, Gonzalo Rubalcaba, à peine 26 ans, un style vif, volubile, généreux, une façon unique de se projeter en avant du rythme en accélérations stupéfiantes, d’être en expansion continuelle en une sorte de profusion baroque, mais tout en dentelle allégée, le trait restant constamment lisible… L’autre est américaine, Geri Allen, 32 ans, un jeu ramassé, percussif, en phrases denses, compactes, épaisses, un piano-matière tout en flux et reflux, avec ces brèves fulgurances qui semblent vouloir rattraper un constant retard sur le temps et qui créent cette pulsation si particulière.
Deux tempéraments, deux conceptions du piano et de la musique que rien ne semble a priori pouvoir rapprocher. Ce qui frappe pourtant à l’écoute c’est, au-delà de ces différences stylistiques si marquées, la profonde unité des univers proposés, tant le couple Haden-Motian pèse sur les orientations esthétiques des trios.
Là peut-être plus qu’ailleurs, c’est Haden qui donne le ton : il y a tout au long de ces plages une vraie gravité dans son jeu dont quiconque se trouve pris dans le champ semble incapable de se libérer. Non seulement parce qu’il fait partie de ces contrebassistes pour qui l’instrument doit proposer le centre autour de quoi tout gravite et se construit en mouvement, mais aussi parce que son jeu est empreint d’une terrible mélancolie, chaque note creusant comme un gouffre dépressif au coeur du rythme qui paradoxalement s’en nourrit pour aller de l’avant. Comme si la contrebasse d’Haden ne cessait de saper ses propres assises en une sorte de mélancolie active, de dépression dynamique, qui dans le même mouvement promet et détruit un monde utopique où s’installer, alimentant encore la nostalgie mais relançant inlassablement la quête. Alors Haden continue d’inventer, de chercher, comme malgré lui. Et il n’y a aucune raison pour que cela cesse.
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Charlie Haden, The Montreal tapes – Geri Allen, Paul Motian ; Gonzalo Rubalcaba, Paul Motian (Verve/Polygram)
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