Pour les acteurs, tourner une scène porno est un job qui s’apprend. Quatre performeurs racontent leur première scène devant la caméra, entre stress, excitation et problème d’érection.
Anna Polina, une scène insouciante
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Aujourd’hui, les nanas cherchent la starification à deux balles. Moi, ça ne m’intéressait pas quand j’ai commencé. » Avec ses 18 films, Anna Polina est devenue une Dorcel girl, une des promotrices de la société de production auprès des médias. Quand elle a commencé, elle y est allée « avec toute l’inconscience de (s)es 19 ans ». Pour elle, faire du porno, c’était « punk ». La Franco-Soviétique n’a jamais été une grande consommatrice de films réservés aux adultes. C’est la lecture de La Voie humide, de Coralie Trinh Ti, une ancienne pornstar également coréalisatrice de Baise-moi avec Virginie Despentes, qui la happe vers le milieu du X.
Elle décide, elle aussi, « d’aller à l’encontre de la société » et prend rendez-vous avec John B. Root, un réalisateur qui voit le porno « comme de l’art ». Dans un grand open space occupé par une dizaine de personnes collées à leur écran d’ordinateur, elle découvre le plateau de tournage au milieu. « C’était très sécurisant malgré tout », assure-t-elle. Elle rencontre Phil Hollyday, son partenaire d’une heure, choisi quelques jours auparavant avec le réalisateur.
« Je me suis trouvée débile à crier »
Complexée par son corps, la hardeuse vit cette scène comme une libération. « Je gardais mon soutif’ quand je faisais l’amour en privé. Je n’avais plus le même rapport à la nudité sur ce plateau. »
Anna Polina se dit à l’aise. Elle réalise le schéma classique de scène X : fellation, pénétration, position un, deux et trois. Et se laisse tenter par l’anal. « J’en ai eu envie, explique-t-elle, tout comme j’ai eu envie de crier comme je le voulais. »
Anna Polina n’a jamais visionnée la séquence, excepté le teaser. « Je me suis trouvé moche, à crier comme une débile et à me dire que je n’aimais pas ma voix. J’ai appris à prendre de la distance par rapport à mon image. Le porno, c’est une jolie leçon d’humilité. »
Jean Diane, du porno militant
Jean Diane n’a jamais envisagé de faire « du porno à la Jacquie et Michel« . Le trentenaire a fait rimer X avec militantisme. « Je ne trouve pas d’intérêt à tourner face à un réalisateur qui n’a pas de message à faire passer », lâche-t-il. Pour sa première, le trentenaire a joué sous les ordres d’une cinéaste, Ovidie, l’ancienne star du X devenue documentariste et écrivain. La féministe boucle le casting du film Le Baiser début 2014. Manque un acteur ouvert aux scènes entre hommes et avec des femmes. Lors d’un dîner, Jean Diane accepte le rôle, séduit par l’envie de montrer la bisexualité à l’écran. « Un homme avec des hommes et des femmes, c’est assez mal vu dans le milieu du porno. C’est aussi pour ça que j’ai dit oui. »
En juillet 2014, il rejoint la campagne normande pour tourner une scène. Le pitch : un couple gay accueille un duo lesbien dans sa résidence. L’apprenti acteur est en confiance, rassuré par la volonté d’Ovidie de filmer « des moments de complicité à quatre le plus naturellement possible. »
« Un joli porno » face aux blockbusters
Dans la piscine, les deux duos se mélangent sous l’œil d’une équipe réduite : la réalisatrice, un cadreur, un preneur de son, un régisseur et un maquilleur. Le sexe est oral, sans pénétration. Mais tourner en extérieur refroidit Jean Diane. « Je n’ai pas eu d’érection », se souvient-il.
Le trentenaire revendique ce « joli porno » qu’il compare même à un film d’auteur, face aux blockbusters de l’industrie.
« Sur un tournage, je joue mais je ne triche pas. Je ne vais pas fuir un baiser par exemple, résume l’acteur. Je n’ai pas envie de travestir ma sexualité. J’aime faire du sexe avec des garçons, avec des filles, à plusieurs. Lors du tournage, je n’ai pas mis un masque sur ce que je suis. »
Angell Summers, du sexe en stress
Elle a préféré jouer Alice, celle du pays des merveilles. Devenir Blanche-Fesses, l’héroïne de Blanche, Alice, Sandy et les autres, c’était trop de scènes pour une première. « Je n’étais pas sûre de tout assumer. Le réalisateur m’a parlé d’anal et de double pénétration, j’ai fait ‘houlà, on va y aller doucement’. »
Après quelques apparitions dans des salons érotiques et plusieurs strip-teases en boîte, elle se laisse tenter par la proposition de Christian Lavil : tourner sa première scène.
Ce 8 mai 2008, « le jour de l’anniversaire de (s)on frère », Angell arrive sur le tournage, dans un château de la région parisienne. Cameramen, preneur de son, maquilleur, photographe et acteurs s’activent sur le tournage du film destiné à Canal+. « Je m’imaginais trois ou quatre personnes. Là, il y avait du monde. Certaines connaissances venaient me voir en me félicitant. Dans ma tête, je me disais ‘mais laissez-moi tranquille !’ », s’amuse-t-elle aujourd’hui.
La première scène ne rassure pas la jeune femme de 21 ans : l’attente avant de débuter, l’obscurité naissante qui contrarie le tournage en extérieur et la non-érection de son partenaire.
« Ma première réaction ? ‘Ce n’est pas possible, je suis si nulle que ça ?’ J’ai essayé plusieurs trucs, ça ne voulait pas. Même le viagra n’a pas fonctionné. Je me suis demandée si j’étais faite pour ça. »
« L’angoisse de vomir sur le monsieur »
Le tournage est reporté deux jours plus tard. Dans sa valise, robes, bijoux, paires de talons, lingettes et savon. « Ce sont des choses bêtes mais il faut y penser. Par exemple, certaines filles préfèrent utiliser leur propre lubrifiant. » L’actrice passe au maquillage, enfile la tenue d’Alice puis prend la pose pour les pretty, les photos soft utilisées pour les jaquettes de DVD et les magazines. « Je ne savais pas poser, je me suis fait guider : ‘tends bien les fesses, tourne les épaules’. C’est plus sportif qu’on ne le croit. »
150 clichés plus tard : action. Angell a pris soin de ne pas grignoter avant. Le stress d’avoir « un gros ventre ». L’angoisse de « vomir sur le monsieur » une fois la tête en bas. Dans l’herbe, le couple alterne photos et scènes filmées, fellations et cunnilingus. « Le réal’ a fait attention à moi, m’a demandé si je n’avais pas de douleurs. Je lui ai dit que j’avais mal au bras à force d’être accoudée. Là, il m’a sorti, en se marrant : ‘elle a une bite dans le cul mais elle a mal au bras !’ » Et il faut penser à sa position, l’orientation du visage, la caméra qui vient se coller à 15 cm. « On n’a pas les mêmes gestes dans la vie. »
Le personnage d’Alice s’efface avec la douche et le brossage de dents. « Ça fait du bien de se démaquiller, d’enlever les talons aiguille et de retrouver son jean », commente-t-elle. L’angoisse a disparu. « On ne se rend pas compte de l’impact du porno dans sa vie. Ce jour là, je me suis dit : je suis actrice X. »
Effrayée avant de tourner, Angell a plutôt assuré au moment de négocier son cachet. « J’ai réussi à avoir le tarif que je voulais. » Une somme estimée à environ 500 € pour une scène anale, la moyenne pratiquée dans la profession pour les actrices. « C’est l’un des seuls métiers où une femme gagne plus qu’un homme. »
Anthony Cruz, l’amateur devenu pro
« Qu’est-ce que je fais là ? » Nu au bord de la piscine d’une villa, entouré de deux cameramen, d’une maquilleuse et d’autres acteurs curieux, Anthony Cruz comprend rapidement la différence entre ce plateau professionnel et ses scènes amateur filmées à l’iPhone. « Là, il y a les lumières partout qui donnent un côté moins spontané. »
La barbe et les poils taillés, le torse et les fesses maquillés, l’acteur, alors âgé de 27 ans, tente de se motiver : « Faut y aller, faut bander, est-ce que je ne vais pas le regretter ? » A ses côtés, Théo Ford semble prêt. « Il était plus grand et plus baraqué que moi, avec un physique de mannequin, et je devais le prendre », se souvient Anthony. Mais le stress l’envahit. Pas d’érection. « C’était un désastre », s’amuse-t-il aujourd’hui. Pendant deux heures, il tente de redresser la barre, sans succès. « C’est lui qui a fini par me prendre. »
Anthony Cruz s’exhibait sur Internet depuis six ans avant sa première scène. Sur XTube, le jeune homme possède une chaîne « qui fonctionne bien » et avec laquelle « il fait de l’argent ». Une scène, tournée dans un ascenseur avec son ex, atteint trois millions de vues et le jeune homme est contacté par Antoine Lebel, fondateur de French Twinks. « J’ai toujours été exhib’, et toujours aimé le sexe. Quand j’ai vu combien on me proposait, j’ai dit oui », raconte-t-il.
« J’avais un beau cul mais je devais travailler le reste »
Rémunéré entre 100 et 300 € la scène (somme moyenne pour un débutant), Anthony Cruz entame le tournage d’Apprentis pornstars, l’aventure de dix jeunes garçons français à leurs débuts. « Le porno gay reste très amateur et avec French Twinks, c’était vraiment professionnel. » Pointilleux, le réalisateur le guide, lui demande de crier, d’accentuer une expression du visage ou de claquer les fesses de son partenaire. Le tout pendant près de trois heures trente. « Normalement, c’est plutôt une heure », explique-t-il.
Et après ? « On prend un verre de rosé et une clope », rigole Anthony Cruz. Puis, Antoine Lebel, le producteur, débriefe avec ses jeunes adultes la scène qu’ils viennent de tourner. « J’étais très bon en passif et j’avais un très beau cul qu’il fallait que je garde mais j’avais à travailler tout le reste », sourit Anthony, qui a créé sa boîte de production, Airmaxsex.
L’acteur s’apprête à boucler la boucle. Deux ans pile après sa première scène, il tournera dans quelques jours sa 100e, avec Théo Ford. Cette fois, il ne se demandera pas pourquoi il est là.
{"type":"Banniere-Basse"}