Les indépendantistes catalans espèrent gagner les élections régionales du 27 septembre. Retour sur un mouvement sécessionniste qui rend fou le pouvoir central madrilène, attaché à une Espagne indissoluble.
Permettez-moi, une fois n’est pas coutume, de raconter une anecdote personnelle. J’ai vécu à Madrid quelques années et y ai encore des amis fidèles dont un professeur de littérature espagnole. Luis Martínez de Merlo est ce que la Movida madrilène des années 80 a produit de plus fin et de plus ouvert sur le monde. Il est un des meilleurs traducteurs en espagnol de Baudelaire ou de Corneille. Il est aussi poète et, évidemment, de gauche.
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Je dis évidemment, car cette génération d’intellectuels s’est forgée contre le franquisme, souvent en tâtant de ses geôles. Luis, par exemple, est resté une huitaine de jours au secret dans un cul-de-basse-fosse policier pour avoir manifesté à 15 ans.
“Il n’est pas question que je sois un étranger à Barcelone”
Régulièrement, je l’appelle pour lui parler de l’Espagne, de la crise, de Madrid. Il y a environ un an, je lui ai demandé ce qu’il pensait d’une Catalogne indépendante. Cet homme d’ordinaire si doux, si mesuré, si fin, a immédiatement changé de ton : “Il n’est pas question que je sois un étranger à Barcelone, m’explique-t-il avec une colère rentrée. La Catalogne, c’est l’Espagne.” Je lui demande alors que faire pour empêcher la sécession ? Glaçant, il me répond : “¡ Lo que sea !” (“Ce qu’il faudra.”)
Mais la traduction française rend mal la violence martiale de ce “¡ Lo que sea !”. En espagnol, cette expression est plus impérieuse et implique presque la mobilisation générale, les chars dans les rues de Barcelone, les soldats devant la Generalitat.
Les arguments des anti-indépendantistes sont outranciers
En fait, dès qu’on parle de la Catalogne à Madrid, les intellectuels, les politiques, les “Castillans” en général perdent la raison. Ils deviennent fous. Rien ne peut les raisonner. Ni l’exemple du référendum écossais, ni celui de la désunion pacifique belge. Comme pour Luis, leurs arguments deviennent outranciers et leur colère incontrôlable.
Un exemple ? Felipe González, président du gouvernement de 1982 à 1996, père fondateur de la démocratie espagnole, sage socialiste et respecté de tous. Fin août, il publie une adresse “Aux Catalans”, dans les pages d’El País, dans laquelle il explique que l’indépendantisme catalan “est ce qui se rapproche le plus de l’aventure italienne et allemande des années 30 du siècle dernier”.
L’unification espagnole s’est faite à marche forcée
Qu’est-ce qui peut pousser un homme politique aussi éminent et d’ordinaire si raisonnable à comparer un processus électoral au fascisme et au nazisme, c’est-à-dire aux pires des totalitarismes ? La réponse est simple : c’est de notre faute, à nous, Français. L’idée d’une Espagne “une et indivisible” – dans la constitution espagnole, elle est dite “indissoluble” – s’est imposée au XVIIIe siècle avec la dynastie française des Bourbons.
A l’imitation de son grand-père Louis XIV, le roi Philippe V a importé de France l’idée d’un Etat central, d’un système unique de gouvernement, d’une nation unique. Avant lui, les Espagnes s’autogouvernaient largement. Après lui, Madrid décidait de tout. Mais, contrairement à la France dont le processus d’unification est entamé depuis le haut Moyen Age, l’unification espagnole s’est faite à marche forcée, tard dans son histoire et a donc été imposée par une dynastie et une élite étrangère.
C’est cette version française, renforcée par les Lumières, d’une nation unie dans ses frontières historiques, que les Castillans chérissent et refusent d’altérer. Le paradoxe, c’est que les Catalans ont aussi la même vision de la nation… Mais pour eux seuls.
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