Rodolphe Burger : « Rétrospectivement, on se rend compte que ce n’est pas qu’un mec qui écrivait des tubes et des chansons en cinq minutes ».
Il y a vraiment un son Gainsbourg, sauf peut-être sur les albums qu’il est allé produire à New York. Les trucs français, ça sonne bien, les Anglais redécouvrent ça maintenant et vont le sampler. Les mecs du hip hop aussi. Gainsbourg, c’est quand même un équilibre cinquante-cinquante entre le texte et la musique, et pour les rappers c’est très intéressant.
En terme de production, il y a toujours une boucle rythmique, un pur gimmick, le chanter-parler, cette manière phrasée, et la limpidité des mixes. Les mixes de Gainsbourg sont extrêmement clairs, il y a toujours un élément mis en avant, un parti pris très franc, ce n’est jamais brouillon, jamais confus. Il y a un côté stylé et classieux du mix et du son. Rétrospectivement, on se rend compte que ce n’est pas qu’un mec qui écrivait des tubes et des chansons en cinq minutes. Il avait du talent, c’était un pur musicien.
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Il mérite une reconnaissance bien au-delà de l’image qu’on a de lui en France. Le provocateur est resté dans toutes les mémoires plus que l’artiste. Il a ouvert des portes à plein de gens, il a même simplement rendu possible de faire quelque chose de sérieux en français. Pour quelqu’un comme Bashung, je pense qu’il a été fondamental, et en même temps il est unique, je ne pense pas qu’il ait un héritier direct. Le côté néfaste, c’est le côté jeux de mots. On a cru qu’on pouvait s’en tirer avec trois jeux de mots et un peu de franglais. C’était sa grande astuce à lui, avoir réussi à fabriquer ce truc là, Comic strip cette langue mixte. Il avait une réceptivité fabuleuse à des musiques comme le reggae Il s’emparait de tout avec aisance, avec une vraie ouverture. Il savait détourner. C’était un filou, il a tout piqué? Piquer, c’est normal, il l’a fait avec classe.
La dernière partie a mal vieilli parce que c’est daté et on a l’impression qu’il a lâché les rênes de la prod. Par contre, les disques qui lui tenaient à c’ur et où il était proche du son et de la production, ceux-là n’ont pas pris une ride et n’en prendront jamais. C’est daté aussi, les sons de guitare, de basse de l’époque, mais immortel, intemporel, ça ne bouge pas.
Mais ses albums magnifiques n’ont pas marché et lui voulait la gloire populaire. C’était le challenge, il avait tout pour être détesté des Français, mais il avait un défi, niquer la gueule à la France lâche des collabos et venir en tant que juif et mal rasé brûler les billets de 500 balles et rester poulaire, alors qu’il aurait pu passer pour un aristo barge et scandaleux.
A un moment donné, il a voulu cartonner, ça l’amusait beaucoup plus. Ça se voit dans beaucoup de choix qu’il a fait, par rapport à la peinture, à l’écriture, ce qu’il dit sur l’art mineur, la chanson. Un art mineur qui ne vend pas, c’est carrément nase (rires). Du coup il est rentré dans cet espèce de cynisme « ce que je fais c’est fastoche, les borgnes sont rois au royaume des aveugles, c’est tellement nul autour que je n’ai pas de mal à être le meilleur », une espèce de fausse modestie assez compliquée.
Il a du jubiler que Je t’aime cartonne en Angleterre. Mais il s’est fait complètement bouffer par les médias parce que pour être un artiste populaire, il faut se donner corps et âme aux médias. Donc il était toutes les cinq minutes à la télé à faire le guignol, à faire des choses hallucinantes, impressionnantes. Il s’est exprimé, mais il s’est aussi cramé là dedans, il est devenu accro à ça. Il était le client idéal des médias qui lui couraient tous après et lui était dans un truc de dépendance, presque de drogue, de diversion permanente par les médias. Une période pathétique. J’en avais marre de la voir complètement pêté à la télé, c’était un peu triste. J’ai toujours eu beaucoup de sympathie pour lui mais je n’avais plus envie de le voir, de voir ce mec se détruire en public, quasi en direct live à la télé. Ça a fatalement pris le pas sur l’artiste, il était trop détruit.
Au tout début des années 70, au festival du film fantastique à Avoriaz, je me souviens de lui avec Jane dans la neige, et ils marchaient tous les deux tous seuls, lui avec ses grandes oreilles. Juste ça, tous les deux tout cools, qui allaient voir une séance de cinéma, c’est l’image que je garde.
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