Star Wars, un manuel de philo ? Si vous pensez que c’est n’importe quoi, Star Wars. La philo contre-attaque, le nouvel ouvrage du pop-philosophe Gille Vervisch (en librairie le 24 septembre) pourrait vous faire changer d’avis.
« Le selfie n’est pas très zen et n’aurait pas plu à Socrate ou à Yoda. » Voilà l’une des phrases que l’on peut trouver dans le nouvel essai du professeur de philosophie Gilles Vervisch, Star Wars. La philo contre-attaque (Le Passeur), en librairie le 24 septembre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’idée de cet ouvrage de pop-philosophie a émergé d’une conférence TEDx Concorde à propos de la diversité que Gilles Vervisch a tenue à Paris en janvier 2012. Sur scène, il avait introduit son discours avec l’exemple des stormtroopers pas très « black-blanc-beur » de Star Wars (vu que ce sont tous des clones du chasseur de prime Jango Fett, ils sont tous identiques, évidemment).
Mais quelques clins d’œil à la saga de George Lucas dans ses conférences n’étaient pas suffisants pour ce fan de toujours. Après De la tête aux pieds. Philosophie du football (Max Milo, 2010) et Quelques grammes de philo dans un monde de pub (Max Milo, 2012), entre autres, il a voulu décrypter la philosophie défendue par Star Wars.
« Star Wars » pour apprendre l’histoire de la philo
Le concept de départ est assez séduisant : neuf chapitres – ou plutôt neuf « épisodes » – qui interrogent les chemins de pensée des personnages de la saga et les inspirations philo-culturelles du maître Lucas. Du destin à la fameuse diversité, en passant par le bien et le mal, la guerre, la politique, la religion ou encore la technique. Rien n’est épargné, pas même le célèbre « Je suis ton père », qui serait une réponse œdipienne à la grande question existentielle « Qui suis-je ? ».
Pourtant, les deux premiers “épisodes” peinent à convaincre. On en apprend plus sur les courants philosophiques – illustrés par des scènes de Star Wars – que sur la philosophie défendue par George Lucas ou ses personnages. En somme, le livre commence comme un bon manuel d’histoire de la philosophie pour n’importe quel fan de Star Wars (car oui, il faut quand même être bien calé sur la saga pour saisir toutes les références) mais n’est pas encore un bon essai de philo à part entière. De plus, les clichés de langage et les blagues tirées par les cheveux ponctuent un peu trop souvent le début de l’ouvrage et alourdissent le propos de l’auteur – surtout lorsqu’il adapte Né quelque part de Maxime Le Forestier à Star Wars…
Heureusement, la démonstration philosophique fonctionne beaucoup mieux ensuite, avec une mention toute particulière pour l’épisode IV, « ‘Que la Force soit avec toi !’ : Comment philosopher au sabre ? » – où l’on apprend que les valeurs Jedi sont très inspirées du bushido, l’art de la guerre japonais, que Yoda est l’incarnation d’un maître zen et comment Descartes et Bergson peuvent nous aider à comprendre ce qu’est l’intuition (« feelings » en VO) si souvent invoquée par les chevaliers Jedi.
George Lucas, un homme inspiré
« Saviez-vous qu’au départ, Apocalypse Now était un projet de George Lucas ? », demande Gilles Vervisch au début de l’épisode III (du livre), « ‘Personne par la guerre ne devient grand’ : La guerre est-elle un mal ou un bien ? ». « Au fond, Star Wars devait être une sorte d’Apocalypse Now version space opera, un moyen de parler de la guerre du Vietnam grâce à la science-fiction pour mieux faire passer la pilule. »
Un mauvais réalisateur, des personnages très stéréotypés, des scénarios peu recherchés, le « roi des dialogues en carton » affirme même Irvin Kershner, le réalisateur de L’Empire contre-attaque (le meilleur Star Wars ?). Bref, George Lucas a beaucoup été critiqué, surtout quand il a lancé la prélogie, qui a déclenché la colère de beaucoup de fans (à cause de l’apparition des midi-chloriens et du personnage de Jar Jar Binks, notamment).
Et pourtant, semble dire Gilles Vervisch, c’est un homme bien inspiré qui a créé cette grande saga, après l’accueil mitigé de son premier long-métrage THX 1138 (1971) et le succès de sa comédie dramatique American Graffiti (1973). Inspiré par qui, par quoi ? Par les préceptes de Nicolas Machiavel pour son personnage de Palapatine (aka Dark Sidious), par Tintin (et surtout Le Temple du Soleil) pour la scène dans laquelle les Ewoks prennent C-3PO pour leur dieu, par le maître zen Yoka pour Yoda, par Isaac Asimov et ses lois de la robotique pour la conception des droïdes dans la saga… Dans Star Wars, chaque symbole, chaque personnage et chaque scène sont des puits de références cinématographiques, littéraires, scientifiques, religieuses et même mythologiques.
« Star Wars » promeut une philosophie « orientale »
Mais, d’après Gilles Vervisch, l’inspiration ultime de Geogre Lucas, c’est l’œuvre du japonais Akira Kurosawa :
« Côté cinéma, enfin, on peut surtout retenir Akira Kurosawa et ses films de samouraïs – autrement appelés jidai-geki ! »
C’est donc de ce terme, jidai-geki – qui désigne les films de samouraïs mais signifie littéralement « films d’époque » en japonais – que vient le mot Jedi. Mais le lien ne s’arrête pas là. Grand admirateur du cinéaste japonais, George Lucas s’est fortement inspiré des samouraïs pour son ordre des chevaliers Jedi : l’attachement au sabre (laser, certes…), le style vestimentaire (la cape, au moins) et, surtout, les valeurs. Car oui, le code des Jedi est très proche de celui qui régissait les samouraïs de l’ère Tokugawa, celle contée par les jidai-geki, qui défendaient la loyauté, accordaient peu d’importance à leur propre vie, menaient une existence ascétique et respectaient le budo (la philosophie guerrière centrée sur les arts martiaux).
Plus largement, sous ses airs de blockbuster pour les jeunes américains, Star Wars semble prôner une philosophie plutôt orientale, fortement inspirée du bouddhisme indo-sino-japonais et du taoïsme chinois – ce que Gilles Vervisch résume souvent comme une philosophie du zen. A commencer par les noms aux sonorités indiennes (Yoda, padawan), chinoises (Qui-Gon Jinn) et japonaises (Obi-Wan Kenobi). Mais ce n’est pas tout !
Certes, l’univers décrit dans Star Wars est très manichéen (ou dualiste) : il y a les bons (américains ?) et les méchants (nazis ? soviétiques ?). Mais côté philo, on est plus proche de Yamamoto Tsunetomo, « ancien samouraï (de l’ère Tokugawa au Japon, ndlr) devenu moine bouddhiste » que de Descartes :
« Il s’agit (…) d’une sagesse « orientale » : d’abord, il y a cette religion de la « Force », qui fait penser au bouddhisme ou au taoïsme – dans Star Wars, on entend jamais parler de Dieu, et ça détend ! En suite il y a la philosophie des Jedi, largement tournée vers le zen et les arts martiaux. »
Et l’auteur d’expliquer que la philosophie occidentale (si l’on peut la généraliser ainsi) est plus « théorique » alors que la philosophie « orientale » serait plus « pratique » (au même titre, peut-être, que le stoïcisme ou l’épicurisme en Grèce antique) : là où Descartes affirme « Je pense donc je suis », les philosophes asiatiques, eux, incitent à ne pas trop penser, justement. Exactement comme les Jedi, qui ne cessent de répéter « Sers-toi de ton intuition ! » (« Use your feelings! ») à leurs padawans. D’ailleurs, cette interprétation philosophique de Star Wars ne doit pas être complètement dénuée de sens car, à l’origine, George Lucas voulait carrément tourner sa saga en japonais sous-titré !
Star Wars. La philo contre-attaque, de Gilles Vervisch, (éd. Le Passeur), 18,90€
{"type":"Banniere-Basse"}