Après dix ans d’absence, Lucile Hadzihalilovic fait son grand retour à Toronto avec le poème noir « Evolution » tandis que Joachim Lafosse déçoit sur l’affaire de l’Arche de Zoé dans son dernier film, « Les Chevaliers Blancs ».
Situé à la frontière de la vieille ville de Toronto, dans un campus universitaire au look typiquement US, le Ryerson Theatre accueille chaque année les séances les plus tarées et sanglantes du TIFF, où se pressent des nuées d’ados et de geeks venus applaudir le moindre débordement gore. Devant des séries B le plus souvent foireuses, la salle de cinéma se mue en intense défouloir collectif tandis que les chaises claquent, les spectateurs s’invectivent, et l’écran dégouline de décapitations, massacres, et tortures en tout genre.
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Cinéma de genre haute couture
Mais ce mardi soir, sous les coups de 22 heures, l’ambiance a radicalement changé au Ryerson Theatre, plongé dans un silence religieux alors que défilaient les premières images d’Evolution, le dernier film de Lucile Hadzihalilovic. Dix ans après le prometteur Innocence, qui l’imposa en nouvelle héroïne d’un cinéma de genre haute couture, la réalisatrice française revenait à Toronto pour prouver qu’elle n’avait rien perdu de sa bizarrerie ni de son goût des marges, et offrait au Festival sa plus forte expérience : une séance de messe noire qui laissa les spectateurs abasourdis, ensorcelés.
Difficile, pour autant, d’évoquer Evolution sans dévoiler une part du mystère qui fait son charme. Conte symbolique aux multiples pistes interprétatives, le film prend pour décor une île imaginaire, recouverte de sable noir et bordée par une mer jonchée de cadavres. Ici vivent des jeunes garçons et leurs mères, un groupe de femmes au comportement troublant, des sorcières de Salem ou sirènes malfaisantes qui se réunissent la nuit pour d’obscurs rituels sexuels, gavent les enfants de médocs et pratiquent sur eux d’horribles opérations chirurgicales. Qui sont vraiment ces femmes ? Quelles sont leurs motivations ? Lucile Hadzihalilovic ne lèvera jamais le voile, privilégiant la langue visuelle aux ressorts narratifs, et orchestrant son film tel un long trip sensitif, un cauchemar scandé par des images morbides à l’effet de fascination inouï. Au croisement du bis et de l’art expérimental, de l’imaginaire horrifique impur façon Lucio Fulci et des installations de Bill Viola, Evolution explore un territoire formel inédit et passionnant – qui ne trouve à dialoguer qu’avec Under The Skin de Jonathan Glazer. C’est un geste romantique, solitaire, un poème noir qui réinjecte de la déviance dans le cinéma français. Il était temps.
Joachim Lafosse déçoit
De l’audace, du nerf, de l’imagination, c’est précisément ce qui manque au nouveau film de Joachim Lafosse, Les Chevaliers Blancs, présenté en avant-première mondiale à Toronto. Inspiré par l’affaire médiatique de l’Arche de Zoé (une association humanitaire française, accusée de kidnapping d’enfants au Tchad en 2008), le film retrace précisément toutes les étapes du fait-divers, depuis l’arrivée des volontaires en Afrique jusqu’à leur arrestation. Le sujet, passionnant, prolongeait les questionnements d’A perdre la raison, le précédent film de Joachim Lafosse, sur une mère infanticide : comment une passion idéaliste vire-t-elle à la folie ? Comment l’amour – d’un enfant, d’une cause -conduit-il à l’aveuglement criminel ? Le cinéaste choisit malheureusement de ne pas se confronter à ces questions, préférant le registre de la pure reconstitution illustrative à celui de la mise en perspective.
Sans doute empêché par la lourdeur de son budget, ou par l’exigence d’un casting all stars (Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli…réunnis dans des scènes d’engueulade très Polisse-style), l’auteur adopte ue neutralité frileuse, donnant ici des indices de monstruosité chez ses personnages, cherchant là à justifier leurs actes par une haute conscience humanitaire. La force dialectique de ses précédents films, leur capacité à cerner une zone d’ombre morale, laisse ici place à une sorte de «ni-ni» diplomatique, l’aveu d’échec d’un cinéaste qui se sera heurté à un sujet probablement trop sensible et controversé.
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