Jamais sorti en salle, le premier film fulgurant de Jean-Daniel Pollet. Comme si la Nouvelle Vague avait commencé en secret par un film de David Lynch.
La Ligne de mire de Jean-Daniel Pollet, tourné en 1959 et resté inédit, a été longtemps un film perdu (mythique), il est à présent un film retrouvé (miracle) ; peut-être sera-t-il encore autre chose ? On peut enfin le voir en DVD, autant de fois qu’on le désire.
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A chaque fois bien sûr, ce qui frappe, c’est que les plans se répètent, les phrases se redisent. C’est un film composé de très peu de choses qui reviennent plusieurs fois. D’abord on ne perçoit que ça, la répétition, la composition. Machine produisant un sens incertain, et qui ressemblerait vaguement à quelque chose de connu. Comme si la Nouvelle Vague avait commencé en secret par un film de David Lynch.
Plus tard, le film avançant par déviations et rebrousse-chemins, on trouve une clef : il est monté dans le désordre. Les répétitions seraient des points de bifurcation qui, en nous projetant à un autre moment de l’action, nous livrent celle-ci en morceaux : puisqu’il s’agit d’une enquête, une vérité devra bien éclater quelque part. Si on revoit le film, on cherche l’ordre de ce désordre. Est-ce un ordre de remémoration de l’action par le narrateur du film, qui est son personnage central ?
Seule compte la répétition
C’est l’été, Pedro revient au château de son oncle et se rappelle les événements survenus deux ans plus tôt, lors d’un hiver enneigé où il découvrit que l’oncle abritait un trafic d’armes mené par des personnages louches. Mais le temps cloche, lacunaire, les répétitions ne font pas avancer vers la découverte passée, au contraire elles la recouvrent, la minimisent : cette histoire de trafic est sans importance, et l’expérience de Pedro n’a aucune valeur. Il n’y a rien à en tirer, pas même une vérité de l’ordre chronologique. Pas même l’absence de cette vérité.
Seule compte, entêtante, la répétition et les variations qu’elle impose au film. Ce ne sont pas les souvenirs désordonnés, obsessionnels, de Pedro, qui guident le film, mais plutôt le film qui les désoriente, les expose comme en un seul et même temps, dans l’ordre arbitraire où elles lui reviennent. Alors La Ligne de mire devient très drôle, comédie de l’ordre des choses. L’ordre rit du désordre, le désordre rit de l’ordre, et les deux se rient ensemble de nous.
La Ligne de mire de Jean-Daniel Pollet, avec Pierre Assier, Michèle Mercier, Edith Scob (Fr., 1960, 1 h 14), POM Films
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