Dans la discographie de Gainsbourg, presque rien n’est à jeter. Dans sa filmographie, c’est exactement l’inverse. Les quatre films qu’il a réalisés et les dizaines qu’il a tournés comme acteur sont tous d’impossibles nanars, auxquels même le second degré ne rend pas grâce.
Gainsbourg a fait quatre films en quinze ans, de Je t’aime moi non plus (1975) à Stan the Flasher (1990). Les revoir à la suite, dans le but initial de les reconsidérer à la hausse, est un exercice périlleux, et finalement fort peu satisfaisant.
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Les films de Gainsbourg ne sont pas aimables, guère engageants, même pas séducteurs. S’il a beaucoup fréquenté le cinéma, comme acteur et compositeur, Gainsbourg ne paraît jamais avoir entretenu avec lui un rapport étroit, même en tant que spectateur. Tout au plus une vague fascination, liée au désir d’être aussi reconnu dans ce domaine, après des années de rôles plus ou moins ineptes dans de mauvais films oubliés et une montagne de musiques de commande.
Qu’il soit figurant ou premier rôle, Gainsbourg acteur a toujours l’air de s’ennuyer. Il manque de technique et de présence, et se contente de prendre des poses trop étudiées, en timide qui attend que ça se passe et que tombe le cacheton. Si sa filmographie de comédien est consistante, il n’a jamais tourné avec un cinéaste digne de ce nom, accumulant de médiocres péplums, des produits de consommation courante et quelques tentatives trop ouvertement « artistiques » pour être autre chose que des curiosités.
Parmi les chanteurs français tentés par l’écran, Bashung, Souchon, Johnny, monsieur Eddy et surtout l’ami Dutronc s’en sortent mieux. Lui se contente du tout-venant, avec une désinvolture trop routinière pour être passionnante. Seul Claude Berri, dans l’honorable Je vous aime (1980, avec une Catherine Deneuve en majesté), parvient à en tirer quelque chose, en lui demandant de n’être rien d’autre que lui-même. Mais son bilan d’acteur reste dérisoire. Quand il passe à la réalisation avec Je t’aime, moi non plus, l’année du Fantôme de la liberté de Buñuel et d’India song de Duras, Gainsbourg joue d’abord sur des effets de reconnaissance : le titre, la musique, Jane Birkin, le cul. Petit scandale, éreintement critique, faible succès commercial, mais le film deviendra culte par la suite.
Western intimiste, plutôt réussi sur les comédiens (Gainsbourg filme bien la femme qu’il aime, c’est déjà ça), Je t’aime moi non plus est ouvertement minimaliste, mais d’un minimalisme trop décoratif. A son aise dans les scènes de couple, touchantes de naïveté fleur bleue et de franchise sexuelle, Gainsbourg est victime de son propre talent de recycleur. Il renoue avec les veilles lunes du « réalisme poétique » français en les mâtinant de lourdes références américaines (le décor est un diner conceptuel où l’on sert des hot meals et de l’orange juice !), et invente sans le faire exprès une première version sèche et osseuse des beineixeries à venir : pour le pire, Je t’aime moi non plus ressemble à un 37°2 dégraissé et annonce la tendance imagée « chic et toc » du cinéma français des années 80. Tous les seconds rôles sont caricaturaux, comme dans une croûte de l’immédiat après-guerre, et le film retrouve la noirceur facile de la « qualité française » quand il souligne l’environnement sordide de l’amour pur entre Dallessandro et Birkin, entourés d’affreux, sales et méchants. Nourri de clichés éculés, mal écrit et filmé en dépit du bon sens (mais c’est son petit charme…), Je t’aime moi non plus finit par sonner creux tant il peine à camoufler son étisie fondamentale par des man’uvres dilatoires et une propension à allonger la sauce par de belles images vides.
Mais s’il convainc peu, le film garde sa fierté d’objet mal foutu. Il ne cherche pas à plaire. Alors que Gainsbourg musicien recherche souvent l’efficacité charmeuse et immédiate, le cinéaste ne dissimule pas son souffle court, son complet manque d’imagination et son incapacité à passer de ce qu’il appelait un « art mineur » à une orgnisation ample du temps et de l’espace. Ses films sont des ritournelles qui cherchent leur juste format sans jamais le trouver. Si une seule idée suffit pour écrire une bonne chanson, elle se révèle soudain faiblarde quand il s’agit de faire tenir debout un long métrage. Et la facilité de Gainsbourg, son aisance d’artisan, se heurte durement aux exigences du cinéma. Il présume de ses forces et flotte dans un habit trop large pour lui. Son seul talent consiste à ne même pas essayer de faire semblant d’être cinéaste.
Les quatre films de Gainsbourg lui ressemblent. C’est leur limite et leur étrangeté. Ce sont des films de mélodiste, bâtis sur une idée fixe et allongée, constitués d’un refrain entêtant auquel manquent beaucoup de couplets.
Mais Equateur (1986), la deuxième tentative, achève de démontrer par l’absurde que Gainsbourg cinéaste souffre d’un grave déficit de regard et d’imaginaire. S’il a l’audace de faire durer la seule séquence intéressante du film (celle de la pirogue), il endosse vite la défroque miteuse du cinéma colonial et cède à la veine « rétro » alors en vigueur. Le film est un décalque mode du pire cinéma français des années 50. Des dialogues débiles empruntés à un Simenon des petits jours (« Ah, l’Afrique, bordel de merde… », « Adèle, file-moi un trois étoiles ! », et on en passe) aux Blancs suant l’alcool et la débine, en passant par les scènes de cul sous la moustiquaire, on se croirait dans un remake des Orgueilleux, avec Huster en roue libre dans son imitation favorite. Film catastrophique et bide noir, Equateur révèle un imaginaire cinématographique des plus convenus et fait de Gainsbourg un authentique ringard en cinéma, qui n’a rien vu de trente ans de modernité cinématographique. Dans l’exercice de style colonial, même Tavernier fait mieux avec Coup de torchon, pourtant pas terrible, mais plus correctement fabriqué et moins ennuyeux.
L’agonie cinématographique de Gainsbourg se poursuivra avec Charlotte for ever et Stan the Flasher, deux nouveaux bides, alors que sa popularité est pourtant au plus haut. Au lieu de se contenter de regarder sa fille, Gainsbourg fait de Charlotte for ever un psychodrame claustrophobe et complaisamment masochiste. Il use et abuse de son image publique de Gainsbarre et fait trop le malin pour que le film soit autre chose qu’une laborieuse compilation d’aphorismes, l’étalage d’une culture aussi réelle que stérile. Mais là encore, il refuse de flatter le public, et l’homme de spectacle désormais rompu à la séduction de masse, via ses innombrables apparitions télévisées, préfère exhiber ses trop évidentes limites de cinéaste et d’acteur et son complet manque de discernement quant à l’économie du récit (de ce point de vue, les flashs-back de l’accident de voiture sont accablants d’inutilité).
Le clip de la danse avec Charlotte mis à part, le film est d’un ennui mortel. Mais c’est bien un « film d’auteur », aucun doute là-dessus, dans lequel Gainsbourg se livre tout entier, avec un plaisir exhibitionniste non dissimulé. Mais sans jamais parvenir à se mettre en scène, faute de la moindre idée de cinéma. Son histrionique présence, son look désormais bien au point, ses références littéraires et ses obsessions nabokoviennes ne font décidément pas un film. Et l’outil cinéma résiste plus que jamais à ses avances, faute d’être pensé et travaillé en tant que tel, d’être considéré autrement que comme une corde de plus à son arc de génie multicarte.
Dans Charlotte for ever, Gainsbourg n’utilise plus le cinéma que pour faire sa propre publicité et exhiber son immense fierté de père comblé. Si celle-ci est justifiée tant Charlotte est déjà grande comédienne, le film laisse une impression de ressassement pénible. L’ancienne fraîcheur de Je t’aime moi non plus a tourné à la recette insane.
Encore plus consternant et inutile, Stan the Flasher ne restera dans les annales que pour avoir révélé Elodie Bouchez. Alors que le parti pris de huis clos strict et sombre était la seule bonne idée de Charlotte, même si Gainsbourg n’en faisait rien ou presque, Stan se déroule sous une lumière atroce, qui rappelle la dramatique télévisée ou le théâtre de boulevard. Et l’absence de Willy Kurant, le chef opérateur inspiré des trois premiers films, se fait durement sentir.
Quand il filme une nuée de « loly- céennes » au ralenti, Gainsbourg, le peintre raté devenu cinéaste par caprice, n’arrive même plus à livrer la jolie image glacée dont serait capable le premier clippeur venu. Faux de bout en bout, incapable de seulement effleurer le pauvre fantasme qui le sous-tend, encore plus mal écrit, filmé et interprété que d’habitude, Stan the Flasher est un naufrage de gâtisme : le film de trop, celui où Gainsbourg rend les armes devant un art qu’il n’a jamais suffisamment aimé, une maîtresse trop exigeante pour lui.
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