A Rotterdam, encore et toujours des Asiatiques, ainsi qu’une jeune cinéaste allemande, Maria Speth, qui mériterait d’être taiwanaise.
Les deux révélations japonaises de l’année dernière étaient de retour à Rotterdam, aux Pays-Bas. Avec des fortunes diverses : Miike Takashi (le nouvel enfant terrible du cinéma nippon) a déçu, Kinji Fukasaku (le maître encore vert du film de yakusas, hommagé lors de la précédente édition) a fait l’événement. Après l’explosif Dead or alive et l’inquiétant The Audition, The City of lost souls contient quelques morceaux de bravoure (le combat de coqs numérisé), les obsessions coutumières de Takashi (le caca, pour simplifier) et sa tendance naturelle à la roue libre référentielle. Malgré quelques moments amusants, le film ne tarde pas à devenir dérisoire tant il est bâclé, peu inspiré et seulement grisé de sa propension au « n’importe quoi, n’importe comment ». Depuis cette pochade inoffensive, Takashi a dû faire deux ou trois films de plus.
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Si on s’était extasié sur ses films des années 60 et 70 (enfin visibles à Paris lors de la prochaine édition de l’Etrange Festival), The Geisha House, le dernier Fukasaku, n’avait suscité qu’un ennui poli. La reconnaissance internationale arrivait-elle trop tard ? Fukasaku, prolifique employé des studios, était-il un cinéaste épuisé ? Battle royale, énorme succès de l’année au Japon, démontre le contraire. Dans un pays en état de siège, où la violence des adolescents déborde l’ordre établi, le pouvoir totalitaire réagit en organisant de nouvelles chasses du comte Zaroff. Seulement munis d’un petit attirail de survie et d’une arme chacun, des lycéens sont lâchés sur une île déserte et sommés de s’exterminer les uns les autres durant trois jours, jusqu’à ce qu’un unique survivant soit déclaré vainqueur de ce jeu punitif. Sur une trame pareille, Fukasaku laisse libre cours à son inspiration de plasticien sadique et évite l’aspect fatalement répétitif de son dispositif de cruauté en épuisant toutes les formes de mort violente. Fascinant et répulsif, Battle royale conjugue romantisme teen, effets de jeu vidéo (un décompte des survivants s’inscrit sur l’écran après chaque « élimination ») et humour féroce de grand satyr(iqu)e roublard. S’il y va un peu fort sur les collégiennes éventrées et les flots d’hémoglobine, Fukasaku se rattrape avec de belles séquences romantiques qui instillent un peu d’humanité et d’espoir dans ce conte pervers. Cerise sur le gâteau, Beat Takeshi incarne un professeur dévoyé nommé Kitano (!), qui suit de sa régie de contrôle le massacre programmé de cette classe de mauvais sujets. Et on finit par s’amuser autant que lui à ce spectacle baroque, où mauvaises pulsions et constante inventivité formelle se mêlent en un étrange et jouissif carnaval macabre.
Pendant que Fukasaku réinvente le cinéma bis déjanté grâce à un savant dosage de ses effets, les frères jumeaux Oxide et Danny Pang les empilent frénétiquement jusqu’à leur annulation obèse. Du coup, Bangkok dangerous ne produit qu’un réflexe de curiosité : un polar thaïlandais, on ne voit pas ça tous les jours… Tout aussi routinier et mal foutu, Another battle de Junji Sakamoto, qui se réclame de Fukasaku, se perd dans d’interminables règlements de comptes grimaçants entre yakusas, avant d’ordonner un dernier plan si parfait qu’il résonne comme un regret, une promesse tenue trop tard. A l’inverse, I love Beijing de Ning Ying commence par toucher quand il suit les déambulations amoureuses d’un chauffeur de taxi volage et révèle sans trop insister une part de réalité chinoise, avant de troquer sa tranquille inspiration naturaliste et son sens de l’ellipse élégante contre une charge symbolique qui pousse le film au suicide. La dernière partie au Maxim’s de Pékin est insoutenable de lourdeur et de fausseté. Guère plus original, Bad company de Tomoyuki Furumaya est une énième variation sur l’étouffant système scolaire japonais et ses malheureuses victimes. Il n’empêche que le film finit par exister en se débarrassant peu à peu de ses soulignages intempestifs au profit d’une justesse d’observation des temps morts et de quelques jolies envolées poétiques.
Mais il fallait oublier un peu notre « asiatocentrisme » bien connu pour dénicher l’authentique révélation de ce Festival de Rotterdam : In den Tag hinein de Maria Speth. Ce premier film d’une jeune cinéaste berlinoise est confondant d’originalité et de maîtrise dans sa manière distanciée de suivre la formation d’un triangle amoureux et les douloureux chassés-croisés de ses protagonistes. Sans un mot de trop, avec un sens aigu de la durée juste et de la suspension de l’émotion, Maria Speth se réclame évidemment d’Antonioni et de ses disciples asiatiques. Mais son film échappe totalement au devoir de bonne élève. Dans un Berlin aussi postmoderne que Rotterdam, les personnages se cognent durement à « la vie matérielle » dont parlait Duras et s’inventent peu à peu des espaces d’autonomie, des temps volés qui leur donnent soudain une prise sur le monde. Tenu mais jamais glacé, In den tag hinein est d’une beauté si frémissante qu’il mériterait d’être taiwanais. Et qu’un distributeur audacieux l’amène jusqu’à nous.
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