Dans leur dernier ouvrage, “Tentative d’évasion (fiscale)”, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot s’attaquent à un système bien français.
Tentative d’évasion (fiscale), la nouvelle enquête de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, agit comme une efficace piqûre de rappel. L’affaire Cahuzac est loin, ça paraît s’être calmé autour de Liliane Bettencourt, et cela fait bien six mois qu’un Leaks quelconque n’a pas éclaté. A croire que tout serait rentré dans l’ordre : nos amis les riches, vous savez, ceux que n’aime pas François Hollande, acquittent désormais la totalité de leurs impôts rubis sur l’ongle, et l’évasion fiscale serait devenue un sport aussi rare et désuet que le polo ou le tir aux pigeons, mettons.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est que le vieux lecteur des “Pinçon” – tout le monde les appelle comme ça – que je suis se souvient d’un de leurs chefs-d’œuvre d’enquête sociologique, Les Ghettos du Gotha – Comment la bourgeoisie défend ses espaces (2007, réédité en Points), divertissant et instructif ouvrage dans lequel ils expliquaient comment “l’entre-soi” propre aux riches se protégeait territorialement et toutes griffes dehors des agressions extérieures, dans les clubs sportifs du bois de Boulogne comme ailleurs.
En Suisse, “l’heure est à la précaution”
Pour en avoir le cœur net, Michel et Monique se sont transportés en Suisse, dans l’espoir d’y rééditer leur expérience de 1994 : “Ouvrir un compte dans une banque dont la spécialité consiste à gérer, dans la plus grande confidentialité, une richesse supposément malmenée par le fisc français.” Chou blanc, “l’heure est à la précaution”, et chez HSBC (ticket d’entrée à un million d’euros), on s’est méfié de ces deux retraités français à l’air malicieux. C’est moins facile qu’avant et en plus de vingt ans, “l’évasion fiscale a énormément gagné en opacité”, constatent nos deux faux naïfs.
Mais comment s’organise cette opacité ? Comment expliquer, par exemple, que le fameux “verrou de Bercy” résiste à tous les exécutifs depuis sa création, en 1977, par VGE et Raymond Barre ? Comme souvent quand il s’agit des intérêts de la caste, c’est une dérogation au droit commun qui empêche les fonctionnaires des impôts de porter une fraude fiscale devant les tribunaux. En amont, c’est le ministre qui décide et fait le tri. La justice passe pour le commun des mortels, les voleurs de poules et les vendeurs de shit ; pour les très gros (et très rétifs) contribuables, un bon arrangement vaudra toujours mieux qu’un mauvais procès.
Un fonctionnement oligarchique entendu
C’est ainsi que fut créée la Commission des infractions fiscales (CIF), actuellement présidée par le vicomte Jean-François de Reydet de Vulpillières. Dit comme ça, ça a l’air inventé, mais non. Comme ils sont sérieux et honnêtes, les Pinçon sont allés chercher si tous les hauts fonctionnaires membres de la commission avaient le même genre de pedigree aristocratique.
Du tout, figurez-vous : “Cette CIF présente une sorte d’équilibre sociologique avec des trajectoires sociales et des positions politiques diverses. Les sensibilités de la droite et de la gauche libérale s’y mêlent harmonieusement, symbolisant ainsi l’unité idéologique profonde des défenseurs du capitalisme.” Ça, c’est l’humour Pinçon, très understatement. Mais avec tout ça, et l’égalité de tous les citoyens devant l’impôt ? Nous y voilà. L’évasion fiscale prospère sur un fonctionnement oligarchique et les Pinçon mettent à nu chacun des rouages de cette affaire de classe.
Tentative d’évasion (fiscale) de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Zones), 256 pages, 17 €
à lire aussi en ligne sur editions-zones.fr
{"type":"Banniere-Basse"}