Avec Zero, disque laboratoire du saxophoniste Greg Osby, le jazz contemporain s’invente un devenir. Depuis des années, Greg Osby travaille, souterrainement, au fil d’albums hybrides, toujours intéressants, jamais totalement aboutis, à s’inventer un territoire intime cohérent qui saurait composer avec l’imaginaire morcelé du jazz contemporain, dans un effort constant de mise en perspective, quand d’autres […]
Avec Zero, disque laboratoire du saxophoniste Greg Osby, le jazz contemporain s’invente un devenir.
Depuis des années, Greg Osby travaille, souterrainement, au fil d’albums hybrides, toujours intéressants, jamais totalement aboutis, à s’inventer un territoire intime cohérent qui saurait composer avec l’imaginaire morcelé du jazz contemporain, dans un effort constant de mise en perspective, quand d’autres de façon plus spectaculaire ou opportuniste choisissent une fois pour toutes de remplir des cases. Et puis soudain, c’est là : Zero. Comme un nouveau départ, l’origine d’une nouvelle ère. A la première écoute, on ne saurait dire ce qui a changé. L’impression est celle, troublante, d’être en milieu familier, tout est à sa place, et pourtant rien n’est plus comme avant. Quelque chose a passé, s’est passé. Définitivement. Comme une métamorphose, mais dans une sorte de continuité. Une révolution en douceur. Ce qui s’impose finalement, c’est une musique comme libérée des partis pris esthétiques un peu rigides qui lui servaient jusqu’alors de cadres, comme affranchie d’une pression « théorique » trop forte et du coup plus expressive. Soudain, au-delà du jeu raffiné des formes, c’est un trajet que l’on entend, une histoire personnelle, une sédimentation d’influences diverses qui, en couches successives, finissent enfin par dessiner un support mouvant, riche, varié comme autant de champs d’intensité qui orientent la musique, la soutiennent, l’aventurent…
On sent toujours chez Osby ce sens inné de l’architecture, propre aux pionniers du mouvement M’Base dans l’allure générale des thèmes notamment, ces petites mélodies anguleuses aux perspectives cubistes ; dans le groove très typé, la façon dont les rythmes s’emboîtent. Mais plus rien de mathématique dans l’organisation : une architecture souple, vivante, organique, un lyrisme qui se déploie en phrases sinueuses, agressives, cursives, dans des contextes sophistiqués aux variations funambulesques proposant à l’improvisateur une multitude de directions simultanées, parfois contradictoires, qui par une alchimie secrète ne se contrarient jamais au contraire, s’enrichissent chacune de leurs points de vue. Car c’est bien ce qu’en fin de compte Osby semble avoir trouvé de plus précieux : une unité dans la cartographie complexe de ses influences qui, d’Andrew Hill à Steve Coleman en passant par Muhal Richard Abrams, définissent un champ d’action parmi les plus riches et excitants qui soient mais parfois difficile à circonscrire. En abandonnant la position surplombante et abstraite du théoricien pour choisir d’explorer in vivo ces territoires, en travaillant à se créer ses propres outils pour continuer d’avancer, Greg Osby vient d’un coup de se donner les moyens d’être l’un des très rares musiciens par qui le jazz peut s’inventer un devenir. Ce n’est pas la moindre des surprises de ce disque.
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