Prince des ténèbres. A l’image d’Andrei Tarkovski, le Géorgien Giya Kancheli souffle le chaud et le froid sur nos âmes inquiètes. Midday prayers (Prières diurnes) : c’est dans un silence désolé qu’apparaît la clarinette sourde et inquiète d’Eduard Brunner. Comme un nuage menaçant, elle avance, libérée de la pesanteur, précédant l’orage inéluctable qui éclate et […]
Prince des ténèbres. A l’image d’Andrei Tarkovski, le Géorgien Giya Kancheli souffle le chaud et le froid sur nos âmes inquiètes.
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Midday prayers (Prières diurnes) : c’est dans un silence désolé qu’apparaît la clarinette sourde et inquiète d’Eduard Brunner. Comme un nuage menaçant, elle avance, libérée de la pesanteur, précédant l’orage inéluctable qui éclate et tonne de toutes ses forces. L’orchestre explose avec une rare violence et d’emblée retombe. Pour ce Géorgien de 62 ans, la musique naît toujours après la désintégration finale. C’est le plus souvent un paysage dévasté, brisé et éparpillé, dont le compositeur rassemble les morceaux au fil d’une longue litanie. La colère se manifeste rarement, ou bien, comme un trou dans la glace, se referme aussitôt. Commandé récemment par le Big Boss d’ECM, Manfred Eicher, pour sa vedette maison Jan Garbarek, Night prayers (Prières nocturnes) est écrit pour saxophone soprano, cordes et magnétophone. Là encore, le caractère religieux de Kancheli fait poindre de l’au-delà de la bande magnétique une voix juvénile citant la Bible. Amoindri par l’écriture indicible de Kancheli, le saxophone caractéristique de Garbarek à peine remis du succès phénoménal de son très new-age et très ennuyeux Officium (ECM) où il était associé à l’Ensemble Hilliard évite les tics d’un soliloque éminemment garbarekien pour se couler dans l’atmosphère vespérale et tarkovskienne du compositeur. Amateur féru de jazz, l’Oriental Kancheli trouve en Garbarek un interprète inspiré. Le vent glacial qui souffle sur l’alto de Kim Kashkashian dans Caris mere (en géorgien, « après le vent » ), c’est celui qui balaie tout espoir et entraîne la mort. Aphone, une voix de soprano dévide sa mélodie, citant les Evangiles : « Il était environ la sixième heure, et il se fit les ténèbres sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure.« Jamais disque de Kancheli n’aura été aussi noir et déchiré. Ses œuvres précédentes, en particulier les Symphonies 4 « A la mémoire de Michel-Ange » & 5 (WEA) et les 6 & 7 « Epilogue » (Sony), témoignaient d’une force roborative et même si elles comportaient des passages d’un calme olympien ou d’une lenteur sacrée, elles étaient parcourues d’une tension convulsive, que l’on retrouve ici partiellement déployée dans Midday prayers et le bref Caris mere.
Giya Kancheli, Caris mere - Kashkashian, Garbarek, Deubner, Brunner, Orchestre de chambre de Stuttgart, direction Dennis Russell Davies (ECM)
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