En attendant de pouvoir poursuivre leur périple à travers l’Europe, 20 000 réfugiés syriens, afghans et irakiens étaient bloqués sur l’île de Lesbos, au nord-est de la mer Egée. Sur place, la situation était devenue intenable.
Mardi 8 septembre, au petit matin, un imposant bateau bleu et blanc fait son entrée au port de Mytilène, capitale de Lesbos, île au nord-est de la mer Egée. A peine l’Hellenic Seaways a-t-il largué les amarres que certains touristes dégainent leurs portables pour filmer. Devant eux, se dressent des centaines de tentes bleues, orange et argentées. Sur le bitume déjà chaud, des hommes, des femmes et des enfants sont allongés. Au loin, des monceaux d’ordures, des bouteilles vides, des couches sales, des papiers déchiquetés. Des vêtements mouillés sont étendus sur les arbres, les abris bus et les balustrades. Par vagues, des odeurs de poubelles et d’urine.
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A l’ombre, plus une place n’est libre
Cette scène de désolation se poursuit à la sortie de l’embarcation, sur la route qui longe le port jusqu’au parc bordant le théâtre de la ville. Ici, à nouveau, des dizaines et des dizaines de tentes s’alignent entourées de déchets. Beaucoup ont installé des sacs de couchage et des tapis de sol à l’ombre des feuillages. D’autres luttent contre la chaleur la tête flanquée sous un banc, un bout de carton ou une serviette. A l’ombre, plus une place n’est libre. Il n’est pas rare de voir des hommes se laver dans le port ou des femmes nettoyer un peu de linge dans les toilettes de restaurants. Diala Otman, son mari, ses deux frères, ses deux cousins et ses cinq neveux âgés de 5 ans à 6 mois dorment dans un jardin. Arrivés lundi soir dans la capitale, cette famille originaire d’Al-Hasakah est épuisée et dégoutée par la situation.
« En Syrie, nous avions un bon niveau de vie mais en Europe, ça ne suit pas. La vie est chère à Lesbos qui est une île touristique. On ne peut pas se permettre le luxe d’un hôtel« , se justifie Diala, 22 ans. « Comme il n’y a pas de toilettes publiques, des gens font leurs besoins dans la nature à côté de là où nous dormons ».
Une situation explosive
A Mytilène, ville de 30 000 habitants, le Haut Commissariat aux Nations Unies décompte 20 000 réfugiés. Sur les côtes de Lesbos, éloignées de seulement quelques encablures de la Turquie, on note entre 1 400 et 1 600 arrivées par jour. La majorité vient de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan. Sur l’île grecque la situation est devenue explosive. Faute de coordination, d’infrastructures, et de personnel – limité pour cause de crise économique – les autorités grecques ont été dépassées. Le système d’enregistrement déficient empêchait les exilés d’obtenir leur laissez-passer nécessaire pour rejoindre Athènes et continuer leur périple vers l’Europe. Face à cette situation arrivée à son point de rupture, des affrontements ont éclaté ce week-end avec la police. Un incendie a eu lieu dans le camp d’accueil sommaire de Kara Tepe où 1 500 personnes s’entassaient dans un lieu d’une capacité de 500 places. De nombreux réfugiés ont manifesté dans les rues de Mytilène pour dénoncer leurs conditions de vie.
Un centre d’accueil ouvert à la hâte
Pour répondre à cette situation d’urgence, le gouvernement grec a envoyé en renfort 60 policiers et 15 gardes-côtes. Un nouveau centre d’enregistrement provisoire a été ouvert à la hâte durant la nuit de lundi à mardi 8 septembre. Dans cet ancien stade de football réquisitionné pour l’occasion, neuf agents sont chargés de délivrer, à la chaîne, des laissez-passer. Officiellement, seuls les Syriens peuvent en profiter. Beaucoup ayant perdu leurs passeports durant leur périple, les policiers ne sont pas regardants. Hossein, un professeur d’anglais originaire de Damas a attendu trois heures sous la chaleur. « Un miracle » plaisante l’homme de 49 ans bloqué sur l’île depuis six jours.
« Depuis mon arrivée, je me rendais quotidiennement au port où ils délivraient des laissez-passer avant que tout ne se fasse au stade de football. Nous étions des milliers à attendre du matin au soir pour rien. Il y avait trois personnes compétentes pour des milliers de réfugiés. L’attente sous le soleil, les allées et retours, les tensions avec la police m’ont usé ».
Maintenant qu’Hossein a son sésame en main, il ne veut pas perdre une minute de plus à Lesbos.
Des bateaux affrétés uniquement pour les réfugiés
Mardi, dès son ouverture à neuf heures, le Fun Tours, a été pris d’assaut. Devant l’agence de voyage, se dessine une file d’une centaine de personnes. A l’intérieur, c’est la panique. Tout le monde se bouscule devant les deux guichets du petit bureau. Le ventilateur tourne en vain. La tension monte. Certains tentent de doubler tandis que les places pour le Blue Star prévu le soir même se vendent en un rien de temps. Kostas Alvanos, le gérant de l’agence craque « Sortez, sortez ! Les bateaux pour Athènes de ce soir et mercredi sont complets. Sortez du bureau, arrêtez de pousser« , crie l’homme, aux cheveux poivre et sel visiblement à bout. Sur la ligne classique, l’agence a vendu en cinq heures, 540 tickets à 48,50 euros.
« Depuis le 25 aout, 20 000 réfugiés sont bloqués sur l’île. Maintenant qu’Athènes a envoyé des renforts pour les enregistrements tous veulent partir mais les bateaux vont manquer« , prévient Kostas. Le gouvernement a accéléré la cadence. En plus des navires pour touristes qui partent une fois par jour, les autorités nationales ont affrétés, le jour même, trois navires uniquement destinés aux réfugiés. Ainsi, 6 000 personnes ont pu quitter Lesbos pour Athènes. Cette mesure doit se poursuivre jusqu’à vendredi.
Assis sur une chaise, les yeux rivés vers la mer, Ibrahim, 40 ans, prend de grandes bouffées d’air. Ce médecin originaire de la ville de Raqqa, devenue le fief de Daesh, a lui aussi récupéré son laissez-passer quelques heures plus tôt. Il a réussi à acheter un billet pour le continent. L’embarquement est prévu jeudi 10 septembre à 20heures. Parti de Syrie il y a deux mois, cela fait dix jours qu’il est bloqué à Mytilène. Il est à bout. Nostalgique de son pays qu’il a été obligé de fuir, Ibrahim a le cœur lourd depuis qu’il est à Lesbos.
« Je suis depuis le début dans le camp de Kara Tepe. Jusqu’à encore aujourd’hui, c’était bondé de monde et très sale. Les douches et les toilettes étaient tout le temps bouchées. En Syrie, je souffrais beaucoup de la situation, pour d’autres raisons, je souffre ici aussi. Je me sens réduit. Je suis pressé que tout cela se termine ».
L’homme au verbe lent ferme les yeux. Il dit vouloir aller en Hollande car le pays est sûr, ou en Allemagne « qui nous accueille les bras ouverts« . Il espère avoir le courage de passer en Macédoine, en Serbie, en Hongrie et en Autriche. « Bien sûr, j’ai peur de la suite mais j’ai beaucoup d’espoir« , assure Ibrahim.
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