Dans « Metal Gear Solid V : The Phantom Pain », Hideo Kojima invite le joueur à infiltrer bases et villages dans l’Afghanistan des années 1980. Son dernier tour de piste aux commandes de la mythique série vidéoludique est une éclatante réussite.
C’est un jeu dans lequel les soldats soviétiques écoutent Kim Wilde dans leur campement afghan – nous sommes dans les années 1980. Un jeu où l’on accroche de gros ballons gonflables sur les moutons sauvages pour qu’ils s’envolent jusqu’à notre base secrète installée en pleine mer. Un jeu, aussi, dans lequel on commence par se créer un avatar (forme des yeux, pilosité faciale, etc.) pour finalement diriger quelqu’un d’autre – Big Boss, alias Snake, mais Naked Snake, hein, pas Solid Snake ni Liquid Snake qui sont évidemment d’autres gens.
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C’est un jeu d’Hideo Kojima, information qui échappera difficilement au joueur car son nom est partout (« written by Hideo Kojima », « directed by Hideo Kojima »…) dans les génériques qui concluent chaque (oui, vraiment, chaque) mission. Son dernier jeu pour l’éditeur Konami, qui se recentrera désormais sur les jeux mobiles et avec qui la rupture s’est notamment soldée par l’annulation d’un nouveau Silent Hill particulièrement prometteur dans lequel était aussi impliqué le cinéaste Guillermo Del Toro.
Ce jeu, donc, c’est Metal Gear Solid V : The Phantom Pain, point final – du moins sous cette forme – d’une série majeure du jeu vidéo dont le premier épisode, Metal Gear tout court, date de 1987. Ce dernier était l’enfant naturel de Rambo et Pac-Man, une affaire d’action militaire en solo dans laquelle le but était moins d’attaquer nos adversaires de front que de leur échapper tel le glouton jaune (qui, curieusement, fait aussi l’actualité en ce moment) dans son labyrinthe.
La spécificité de MGS, la branche « moderne » de la saga, vient d’ailleurs en grande partie de sa double filiation, cinématographique – Kojima est un insatiable cinéphage – et ludique. Chaque épisode est à la fois un vrai jeu vidéo – bourré d’idées et de dispositifs aussi singuliers que brillants – et une sorte de film (plus ou moins) interactif avec des scènes cinématiques durant jusqu’à plusieurs dizaines de minutes. Parfois c’est génial. Parfois c’est un peu n’importe quoi. Souvent, c’est génial parce que c’est n’importe quoi.
Les Metal Gear Solid sont fréquemment des grands jeux malades – comme François Truffaut parlait de « grands films malades » –, lumineux et branlants, déséquilibrés mais révolutionnaires. Etrangement pour un jeu au développement perturbé par la dégradation des relations entre Kojima et son éditeur, The Phantom Pain donne pourtant le sentiment d’être en très bonne santé. Maître de ses effets, ne croulant ni sous les cinématiques ni sous son embarrassante mythologie ultra-geek (avec cyborgs, clonage et twists incessants) au service d’un gentil message anti-guerre, The Phantom Pain tire ainsi merveilleusement les leçons des jeux occidentaux à mondes ouverts (en particulier Far Cry et Red Dead Redemption) pour renouveler l’expérience.
Avant de pénétrer dans le village ou la base qui abrite notre prochain objectif, il faut étudier précisément les lieux, repérer les gardes, installer des repères, élaborer une stratégie. Puis on se lance. Evidemment, les choses ne se passent alors pas comme prévu et il faut improviser. C’est une affaire de réflexes, de style et de matière grise. Une partie de cache-cache et d’échecs à la fois. C’est incroyablement stimulant.
Et puis, donc, il y a les moutons. Et les ours, mais également les soldats adverses (et leur matériel) que l’on capture pour compléter notre petite armée perso en les enlevant au moyen de ballons gonflables. C’est l’un des aspects les plus excitants du jeu et, aussi, les plus drôles. Car Kojima ne manque pas d’humour, au point que l’on ne sait pas toujours si l’on doit prendre tout à fait au sérieux les proclamations pompeuses (sur la vie, la mort, la guerre, leur destin funeste et tout ça) que lâchent, dans un souffle viril, ses super-soldats plus ou moins augmentés et/ou mutilés. Déstabilisant ? Un peu.
Et puis il y a les ruptures de ton (tragique, léger, potache…), l’alternance entre immersion et distanciation, l’avalanche de textes ou l’utilisation savante du son, les limitations ponctuelles de l’interaction (comme au début du jeu où le personnage est sur un lit d’hôpital et le joueur, un simple spectateur) et, plus généralement, tout ce qui sort le gamer de son confort – même si, en jouant à MGS V, on se sent souvent très bien. Ce que Kojima a compris mieux que quiconque, c’est que le jeu vidéo est par nature un médium impur, polysémique et mutant, et que ses contradictions (entre passivité et action, plaisir de jeu et récit sérieux, etc.) forment un terreau parfait pour l’expérimentation. En la matière, The Phantom Pain est un nouveau sommet, un blockbuster baroque et élégant, subtil et riche, irrécupérable et beau. Une glorieuse exception.
Metal Gear Solid V : The Phantom Pain (Konami), sur PS3, PS4, Xbox 360, Xbox One et PC, de 40 à 60 €
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