Par milliers, les réfugiés syriens, irakiens et afghans débarquent au Pirée, venant de l’île de Lesbos, porte d’entrée en Europe. Mais le port d’Athènes n’est pour eux qu’une étape dans leur périple vers le Nord.
Le port du Pirée, d’ordinaire très animé, est particulièrement tranquille. Ce mardi, aux alentours de 20 heures, le quai E1 s’est vidé. Plus personne n’attend de bateaux chargés de touristes. Aucun départ pour les îles grecques n’est attendu. Pourtant, deux longues files de taxis se dessinent. Les chauffeurs sont venus guetter le navire Tera Jet.
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A son bord, plus de 1 800 réfugiés, majoritairement des Syriens, des Irakiens et des Afghans. Affrété par le gouvernement grec, cette embarcation arrive tout droit de Lesbos. A l’aube, mercredi, un autre bateau, ayant fait le même trajet, avec 2 500 personnes a également jeté l’ancre. L’île, située à une dizaine de kilomètres des côtes turques au nord de la mer Egée, fait face à une arrivée importante de migrants et de réfugiés. 33 000 depuis le 1er août. Un flux massif et continu également enregistré sur les îles de Kos, Chios et Samos.
Le manque criant de structures d’accueil rend la situation explosive. Sur place, les autorités sont débordées. Depuis le début du mois d’août, des ferries dépêchés par Athènes font la liaison plusieurs fois par semaines entre les îles et le Pirée.
En Allemagne, au plus vite
Yiorgos, chauffeur de taxi originaire de Trikala (nord de la Grèce), ne rate aucun de ces débarquements. “C’est plus de travail pour nous”. A force, l’homme de 54 ans dit s’être “habitué”. Les premières fois, lorsqu’il a vu ce monde arriver sur le port, il a “eu mal”.
“Ils ont l’air malheureux. Ils fuient la guerre et laissent tout derrière eux pour rejoindre l’Europe. J’espère qu’ils auront la possibilité de quitter la Grèce au plus vite. Pour nous comme pour eux, rien de bon ne les attend ici.”
A 21h30, une lumière inonde le port. Quelques minutes plus tard, le Tera Jet à quai ouvre ses portes. Une marée humaine d’hommes, de femmes et d’enfants descend du navire. Des visages graves mais aussi beaucoup de sourires et des signes de victoire mimés devant les quelques caméras présentes. D’un pas déterminé, tous se dirigent vers les bus mis à leur disposition gratuitement. Direction le métro le plus proche.
La police portuaire orchestre les déplacements qui se déroulent sans heurts et sans affolements. Amar, 23 ans, n’a pas de temps à perdre. Le jeune homme au teint mat, originaire de Damas, veut quitter Athènes dès ce soir. Comme beaucoup d’autres, il veut rejoindre Thessalonique, au nord, puis Idomeni commune grecque frontalière de Gevgelija, en Macédoine. Au total, près de 600 kilomères de trajet. Après quoi, lui et ses neuf compagnons de route passeront en Serbie, en Hongrie, en Autriche et enfin en Allemagne. L’itinéraire est connu.
“Nous voulons arriver en Allemagne au plus vite. Les trois jours passés à Mytilène étaient horribles (la capitale de Lesbos ndlr). Là-bas, il y a énormément de monde mais aucune gestion. Beaucoup de migrants dorment par terre, dans la rue, sur le port. Nous, nous avons dû dormir sous des tentes, sans pouvoir prendre de douche, sans manger à notre faim. Je me sens sale et épuisé”, lâche t-il d’un ton las. Un de ses amis l’interrompt et le presse. Il a entendu qu’il était encore possible de prendre un train pour Thessalonique. Il faut partir. Amar disparaît dans la foule.
Un peu plus loin, un groupe de onze hommes attend, patiemment, un bus moins bondé. Ces amis d’enfance – âgés de 22 à 29 ans – sont tous originaires d’Amouda, ville du Kurdistan syrien. Malgré la fatigue, ils semblent heureux et sereins. A les entendre, l’arrivée à Athènes sonne comme une délivrance. Pour eux aussi, Mytilène fut une mauvaise expérience. La pire depuis leur départ il y a un mois.
Les passeurs criminels
Partis de Syrie, ils ont rejoint Istanbul puis Izmir, sur la côte turque. Jamil, les yeux très clairs et une barbe de plusieurs jours raconte : “Nous avons attendu deux semaines sur place avant de pouvoir prendre un bateau pour la Grèce. Les passeurs sont de vrais criminels, ils nous font payer plus de 1 000 euros pour traverser sur des embarcations bondées. Ils savent que nous n’avons pas le choix, que nous devons partir.”
Jamil et son groupe ont tous fui la Syrie par peur de se faire enrôler dans l’armée de Bachar Al-Assad ou recruter par le YPG, forces armées kurdes. “Ce n’est pas notre guerre. Nous sommes jeunes, l’avenir est devant nous”, continue cet ancien étudiant en sciences politique.
Sur l’île de Lesbos, le groupe est resté cinq jours. Les jeunes hommes ont marché 40 km sous un soleil de plomb pour rejoindre Mytilène et recevoir leurs laissez-passer.
“Sur place, les conditions étaient très mauvaises, cela a accentué la fatigue et l’énervement. On commençait à perdre espoir. Heureusement, à onze, on se sert les coudes”.
Une fois le sésame en main, ces exilés ont déboursé, sans hésiter, les 60 euros que coûte la traversée pour rejoindre Athènes. Ici, des connaissances les attendent. Ils seront hébergés mais ne resteront qu’une seule nuit, juste le temps récupérer des forces. Dans le métro qui les mène à leur point de rendez-vous, ils pianotent sur leur téléphone portable dernier cri. L’un d’entre eux a pris l’habitude de tout filmer.
Rezan, soulagé, pense déjà au lendemain et à la suite du “voyage”. C’est décidé ils prendront le train pour Thessalonique puis se débrouilleront pour se rendre à la frontière avec la Macédoine. Une fois là-bas, ils ne s’arrêteront plus jusqu’à rejoindre l’Allemagne où ils feront une demande d’asile.
“Pour nous guider, nous avons des GPS sur nos portables. Il y aura certes la fatigue et la faim mais il faudra faire avec. Nous fuyons la guerre, on ne peut pas s’arrêter maintenant, on ne peut pas avoir peur”, se persuade le jeune homme fluet. Il ajoute : “Angela Merkel a dit qu’elle nous accueillerait. On a des raisons de croire que tout va bien se passer”.
Les jeunes s’imaginent déjà reprendre un travail ou des études arrêtés à cause du conflit. Ils le promettent, quand leur situation sera stabilisée, ils feront le chemin en sens inverse. Cette fois, ils prendront le temps de s’arrêter dans chacun des pays qu’ils auront traversés dans la précipitation.
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