Rencontre avec l’un des romanciers américains les plus prometteurs : à l’occasion de la sortie de « Tous nos noms », Dinaw Mengestu nous parle de l’exil, de ses origines éthiopiennes, du racisme, d’Obama, des Etats-Unis où il vit et où son nouveau roman a créé l’évènement l’année dernière.
Si Dinaw Mengestu est, dans ses livres, capable d’une pudeur subtile, c’est un jeune homme franc et direct qu’on rencontre dans un café parisien. Après Les belles choses que porte le ciel (2007) et l’éblouissant Ce qu’on peut lire dans l’air (2010), Tous nos noms décrit le sentiment d’être étranger à soi-même comme aux autres à travers le parcours d’un jeune Africain, l’indifférence aux choses, la politesse comme une forme de survie quand on reste un « immigré » dans un pays censé vous accueillir.
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Mengestu s’est inspiré de sa propre vie pour écrire ce nouveau roman : il aquitté l’Ethiopie avec sa famille à l’âge de deux ans, pour s’installer aux Etats-Unis. Il nous raconte la construction, dans la douleur, d’une identité véritablement afro-américaine. Pour se retrouver aujourd’hui à partager sa vie entre New-York et Paris (avec sa compagne française).
Comment avez-vous commencé à écrire?
J’ai grandi dans le Midwest. L’école dans laquelle j’étais, enfant, était très multiethnique. Mes amis étaient des petits Mexicains, Chinois, Vietnamiens, Blacks… Et puis mes parents m’ont envoyé dans cette école pour gosses de riches blancs. Nous, on venait d’Ethiopie, on ne s’était jamais considérés comme afro-américains. L’idée même d’être noir aux Etats-Unis est quelque chose que mes parents n’ont jamais compris. Ils ne savaient pas ce qu’était le racisme. Je n’avais donc aucune conscience de tout cela jusqu’à ce que ça me tombe brusquement dessus. C’est l’époque où tu deviens un adolescent, tout à coup on commence à te regarder différemment dans la rue. La police ralentit quand elle te voit. Et toi, tu n’es pas prêt à affronter tout cela. J’avais un choix à faire: soit je restais avec mes amis d’enfance, qui pour la plupart étaient tombés dans la drogue et les gangs, soit je trainais avec le groupe des gosses de riches en me sentant malheureux, pas à ma place. Je n’ai pas voulu choisir entre ces deux groupe, ce qui m’a isolé. Et puis j’ai découvert les livres, qui étaient la seule chose que je pouvais faire tout seul. J’allais au café. J’ai dévoré la beat generation, Ginsberg, Kerouac, que j’ai immédiatement aimés parce qu’ils vivaient hors des normes qu’on voulait leur imposer. Après sont venus James Baldwin, Richard Wright. Ils sont devenus en quelque sorte mes amis. J’ai commencé à écrire à cette époque, pas tant de la fiction que des notes sur ces livres.
Comme dans vos romans précédents et comme votre propre histoire, celui-ci raconte les (més)aventures d’un réfugié africain aux Etats-Unis. Quelle en est la part autobiographique?
Je voulais d’abord écrire un livre sur le quartier dans lequel j’ai grandi. Imaginer comment les gens nous voyaient quand on a débarqué d’Ethiopie. C’est aussi un hommage à ces femmes que j’ai rencontrées dans mon enfance, qui ressemblent au personnage d’Hélène. Ces femmes blanches, douces et gentilles, qui travaillaient souvent pour les services sociaux ou allaient à l’église. Elles prirent soin de moi et m’élevèrent quand mes parents me manquaient.
Isaac c’est aussi ce personnage biblique, un survivant qui échappe au sacrifice auquel Dieu le destine par l’intermédiaire de son père. Quand à Hélène, elle est la cause de la guerre de Troie… Vous êtes vous inspiré de ces mythes?
Oui. Tous nos noms est en fait une version très différente de mon tout premier livre. J’avais écrit cette histoire mal ficelée, truffée de références bibliques et philosophiques. Je l’avais envoyée à tous les agents new-yorkais. Personne n’en voulait à l’époque. Et puis, je l’ai retravaillée du point de vue des deux personnages. Ce qui donne ce livre.
Le narrateur de Tous nos noms ne cesse de chercher son « vrai nom » ?
En Ethiopie (d’où vient en fait le narrateur du livre avant d’arriver en Ouganda, ndlr), vous portez au moins sept ou huit noms. Ceux de tous vos ancêtres. Moi-même, mon père m’a inventé un prénom qui n’existait pas. Mais il y a aussi quelque chose de très américain dans le fait que mon personnage, une fois qu’il arrive aux Etats-Unis, décide de garder ce faux nom d’Isaac. C’est en fait toute l’histoire de l’immigration aux Etats-Unis: cette idée de la réinvention de soi, de recommencer à nouveau, que vous pouvez vous créer vous-mêmes et que l’Histoire au fond n’est pas si importante. Les gens abandonnent souvent leurs noms d’origine pour en inventer de nouveaux. Regardez Bob Dylan, Gatsby le magnifique…
Est-ce que vous partagez cette idée, que l’Histoire, au fond, n’a pas tant d’importance ?
Cela dépend du contexte. Par exemple, je ne partage pas l’idée d’une Amérique « post raciale ». Certains préfèrent s’imaginer qu’avec l’élection d’Obama, le problème aurait été réglé, qu’on serait arrivé à la « fin de l’Histoire ». C’est une aberration. Il ne faut pas oublier l’histoire de ce pays, les longues et douloureuses luttes contre les discriminations raciales. Et c’est loin d’être fini. Ces violences actuelles de la police, contre les Noirs, ça n’a rien de nouveau. C’est juste qu’on regarde enfin le problème en face. Avant, la majorité des gens ne voulaient pas en entendre parler. Aujourd’hui, la police nous nique autant notre race, mais au moins une bonne partie du pays dit: ça suffit. Il ne s’agit pas juste de quelques policiers isolés. Il y a, dans la police aux Etats-Unis, une culture de la violence contre les hommes de couleur. C’est presque institutionnalisé. Cette idée qu’il faut « policer » certaines communautés.
Etes-vous déçu par l’attitude d’Obama à ce sujet?
Une partie de la communauté black, aux Etats-Unis, lui reproche de n’avoir pas assez clairement évoqué le problème. Obama est quelqu’un de pragmatique. Or il est dans une situation délicate. Afin d’éviter de braquer les 48 % d’Américains qui n’ont pas voté pour lui (et une bonne partie des 58 % de blancs dans ce pays) il a en effet minimisé le problème. Pensez pourtant au nombre de menaces de mort qu’il a reçues. Dès qu’il a ouvert un compte Twitter, les insultes racistes l’ont assailli. Il a grandi en connaissant cela, mais il sait aussi qu’il ne peut trop insister, dès lors qu’il est le Président des Etats-Unis. Les Noirs sont bien sûr déçus: cela fait tellement partie de leur vie quotidienne que le fait que le Président fasse comme si cela ne faisait pas partie de la sienne est frustrant. Mais je ne pense pas qu’il puisse faire autrement.
Propos recueillis par Yann Perreau
Dinaw Mengestu, Tous nos noms, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch. Fayard, 318 p., 21,50 euros.
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