Une réédition indispensable et un nouvel album à la coule remettent en selle Lee le magnifique, cowboy affable et homme à femmes. La moustache sera l’accessoire tendance de l’été. Lee Hazlewood ? “Un génie. Un des paroliers les plus audacieux que la chanson américaine ait connus.” Quand Kim Gordon, de Sonic Youth, émet ce genre […]
Une réédition indispensable et un nouvel album à la coule remettent en selle Lee le magnifique, cowboy affable et homme à femmes. La moustache sera l’accessoire tendance de l’été.
Lee Hazlewood ? « Un génie. Un des paroliers les plus audacieux que la chanson américaine ait connus. » Quand Kim Gordon, de Sonic Youth, émet ce genre d’avis (cité dans le magazine Option), on tend l’oreille si l’heureuse détentrice d’une collection de disques positivement pharaonique s’entiche parfois de vieux chevaux de retour, elle mise rarement sur des tocards. C’est donc avec un appétit longuement aiguisé qu’on dévore Cowboy in Sweden, fraîchement exhumé par Smells Like Records (label de Steve Shelley) : après le joyeux désordre des rééditions pirates, les disques de Lee Hazlewood échappent enfin à la clandestinité et aux prix prohibitifs pratiqués par les thésauriseurs du marché noir. En 69, Lee s’est exilé en Suède, y a rencontré Tobjörn Axelman, metteur en scène désireux de collaborer avec lui sur plusieurs projets cinématographiques et musicaux. Le premier, Cowboy in Sweden, s’ouvre sur un violoncelle d’outre-tombe, aussi grinçant que l’huis d’une geôle moyenâgeuse. Lee croupit au cachot, sur la paille pour un bail : « Quatre ans de passés, encore vingt et un à tirer, dix mille petits déjeuners à avaler, quatorze millions de secondes à vivre comme ça » (Pray them bars away). Hazlewood a l’oeil du scénariste, le sens du détail qui crève l’écran ; ses chansons regorgent de forbans noceurs, habitués des prisons, de la castagne et de la gueule de bois (The Night before, drame de l’alcoolisme d’une éblouissante noirceur, filmé en panoramique et digne des monumentaux mélos de Douglas Sirk). Au cinéma, Lee Hazlewood s’écrirait alors Lee Van Cleef. Cravache en pogne et éperons aux talons, le western spaghetti déboule dans les alcôves nordiques enfiévrées par la révolution sexuelle. Après Nancy Sinatra (et avant Ann-Margret, showgirl à l’anatomie annapurnesque), Lee, adepte de la monogamie en série, s’est attiré les bonnes grâces de Nina Lizell, jumelle blonde des Barbie suédoises auxquelles Rod Stewart n’allait pas tarder à s’abonner. Année érotique oblige, Lee l’invite cavalièrement à une soirée rut à l’écurie ; la belle hennit illico de plaisir (Hey cowboy). Dans le registre raccourci vers l’extase, leur duo de charme sur Leather and lace rivalise avec Some velvet morning, sidérant sommet fétichiste de Nancy and Lee ; les amours du cuir noir, de la dentelle écarlate et d’une tripotée de violons en proie au vertige des sens y dessinent des estampes d’une exquise lascivité cousines de celles censurées à l’époque sur la troublante version Bardot de Je t’aime moi non plus. On se gardera pourtant d’enfermer Lee Hazlewood dans son personnage de Gainsbarre ricain ; sous le vernis de provocation faraude, sa country des catacombes suinte d’une émotion singulièrement peu frelatée. C’est au Déserteur de Boris Vian que se frotte No train to Stockholm, éloquente complainte pacifiste une des plus bouleversantes jamais inspirées par le meurtrier bourbier vietnamien. Les oreilles grandes ouvertes sur les contradictions d’un temps turbulent, Hazlewood alterne cynisme et lyrisme, anticipe la vogue des hymnes à l’errance qui feront l’honneur du cinéma américain des années 70 : Easy and me, ballade superlative, erre au long des routes en compagnie du Me and Bobbie McGee de Kris Kristofferson ou des héros déracinés de L’Epouvantail et autres Gens de la pluie. Sur le terrain du roman en chanté, l’allégresse narrative d’Hazlewood fait merveille ; en matière de métaphores gros calibre, le désespoir existentiel carabiné de Cold hard times justifierait à lui seul l’enthousiasme de la tribu Sonic Youth (« Tu siffles pour faire venir un chien nommé bonté, que tu ne trouveras jamais »). A l’aune de pareilles trouvailles, portées par une opulente voix de basson et décorées d’éberluants arrangements symphoniques, Cowboy in Sweden n’appelle effectivement qu’un unique commentaire : chef-d’oeuvre égaré, fatalement négligé l’année où le rock ne rêvait que de guitaristes aux doigts turbocompressés, mais à (re)découvrir séance tenante. Vingt-cinq ans plus tard, Hazlewood renoue avec un ami de quarante ans, Al Casey, complice de ses années Arizona, puis sessionman émérite du Hollywood sixties. Enregistré à la bonne franquette on a rarement entendu disque ignorant à ce point la pression , Farmisht flatulence, origami ARF!!! and me épate par sa souplesse de vieux danseur de claquettes s’offrant un ultime tour de piste. Uniquement épris de rengaines sentimentales archicélèbres (on croise les immenses fantômes de Dr John ou Otis Redding), une voix à la majesté à peine éraillée et un saxophone complice chaloupent à l’heure des cocktails. Sans fioritures ni pyrotechnie on est à Reno plutôt qu’à Las Vegas , l’amour éperdu de chansons chenues rime ici avec la reconquête d’un merveilleux temps perdu.
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