Alain Soral, penseur « dissident » ou intellectuel d’extrême-droite ? Deux journalistes de « StreetPress » déconstruisent la légende de ce cyber-gourou qui se dit antisystème mais qui s’avère être un bon businessman.
Qualifié d’« ennemi public n°2 » par L’Express, Alain Soral est l’intellectuel médiatique par excellence. Bien qu’il soit aujourd’hui largement blacklisté par les médias mainstream, il a été invité sur tous les plateaux – que ce soit pour donner des conseil de drague, parler de sa némésis du moment ou prêcher la bonne parole de la “dissidence”.
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Avec son acolyte Dieudonné, il a édifié une cyber-agora de cette pensée fondée sur la virilité, l’homophobie, le nationalisme et, surtout, l’antisémitisme, qui a pris forme au sein de l’association Egalité & Réconciliation, puis grâce au parti Réconciliation nationale. Mais Alain Bonnet – de son vrai nom – s’est aussi construit un personnage, un temps Alain Bonnet de Soral (ou ABS), puis simplement Alain Soral. Opportuniste dans l’âme, il a emprunté ce nom à sa sœur actrice Agnès Soral, qui est l’une des rares à avoir contredit son histoire officielle dans une biographie publiée il y a quelques mois, Frangin (Michel Lafon).
La seule ? plus maintenant, car Robin d’Angelo et Mathieu Molard, deux journalistes de StreetPress viennent de sortir, ce mercredi 2 septembre, Le Système Soral : Enquête sur un facho business (Calmann-Lévy). Cette bio – forcement non autorisée – décortique méthodiquement, le parcours du polémiste, des boîtes de nuit des années 1980 à son appartement de Saint-Germain-des-Prés, de l’extrême gauche à l’extrême droite.
L’homme de la jet-set devient polémiste
« La vraie vie d’Alain Soral a, à chaque fois, peu à voir avec le personnage héroïque qu’il s’est construit », écrivent les deux journalistes. Un homme viril ? Il « prend la poudre d’escampette » dès que ça chauffe, rapportent des témoins qui ont assisté à une de ses séances de dédicace qui a mal tourné. Pire, il laisse les autres personnes présentes se faire tabasser puis joue le martyr dans les médias, constatent les deux auteurs.
D’ailleurs, celui qui donne des leçons de boxe sur sa chaîne Dailymotion se revendique « instructeur fédéral de boxe anglaise », le statut le plus bas dans la Fédération française de boxe – caduque depuis 2010, même. Ancien du PCF ? Les pontes du parti ne se souviennent pas du tout de lui et sa propre version varie souvent. Interrogé dans l’ouvrage, l’écrivain Simon Liberati affirme qu’il s’est encarté au PCF avec Alain Soral dans les années 1990, mais pas vraiment par idéologie :
« On était une bande de farfelus qui aimaient l’idée d’être au PC. C’était très dévalué à l’époque parce qu’il y avait eu la chute du mur. On trouvait ça dommage que le parti disparaisse comme l’Eglise catholique avait disparu. »
Robin d’Angelo et Mathieu Molard énumèrent les échecs du jeune homme d’Aix-les-Bains, qui cherche à tout prix à gagner en notoriété dans les années 1990 : cinéma, art, littérature, journalisme, et même une pub pour Michoko. Rien ne réussit à Alain Bonnet, qui fréquente de plus en plus les boîtes de nuit parisiennes et se construit le personnage d’ABS, un Casanova qui donne des conseils de séduction dans ses livres et à la télé, mais qui peut se montrer violent lorsqu’une fille refuse ses avances, comme l’apprendra Binti, une mannequin qui a été victime d’injures et de menaces après avoir mis fin à sa relation avec lui.
Mais l’homme sait s’entourer. Franck Spengler, héritier de l’auteure de La Bicyclette bleue Régine Deforges et PDG de la maison d’édition érotique Blanche, est devenu son ami et son éditeur dès 1996. Il raconte :
« Soral a toujours été entouré de gens qui avaient une admiration pour lui et sa culture. Ils ont toujours vu en lui quelqu’un qui faisait le travail qu’ils ne faisaient pas eux-mêmes. »
Et si ces gens-là pouvaient l’aider à grimper la hiérarchie sociale, c’était encore mieux, semblent ajouter les deux journalistes. Soral rencontre une multitude de stars du PAF en discothèque et dans des soirées sélect, « où le nom de sa petite sœur l’aide à se taper l’incruste ». De plus en plus invité à la télévision, il y déverse des théories antisémites, entremêlées de sexisme et d’homophobie. Jusqu’à devenir persona non grata sur tous les plateaux et se tourner vers YouTube et Dailymotion pour développer sa pensée « soralienne ». « J’ai conscience d’âtre un parasite », a-t-il déclaré (une seule fois) sur une de ses vidéos. C’est en tout cas ce que d’Angelo et Molard décrivent : un gourou provocateur qui se lève « tous les jours à 14 h », selon un de ses proches.
La nébuleuse « dissidente »
Proche d’anciens membres du GUD (Groupe union défense, organisation étudiante d’extrême droite), qu’il a connus à la fac de droit d’Assas, cet ancien communiste proclamé s’encanaille au début des années 2000 avec le Front national (FN) et l’Action française. Il s’entoure de gorilles issus de mouvements nationalistes et de hooligans d’extrême droite.
Après l’élection présidentielle de 2002, il devient même le chouchou de Jean-Marie Le Pen, qui lui donne sa bénédiction lorsqu’il crée son association Egalité & Réconciliation en 2007 afin de défendre « la gauche du travail et la droite des valeurs », et surtout ses propres idées. Mais à l’origine E&R a un autre but : rallier les banlieues aux causes antisionistes, antigays et anti-impérialistes. Créer un mouvement réactionnaire « Black-Blanc-Beur », en somme. Une « extrême droite new wave », comme la qualifient d’Angelo et Molard.
Selon les deux journalistes, E&R devient très vite « le fan-club d’Alain Soral » sur Internet, rassemblant forums et blogs dénonçant le lobby gay, juif et agrégeant une bonne flopée de cyber-complotistes. En revanche, la nouvelle génération du FN, celle de Marine Le Pen, prend de plus en plus ses distances avec le polémiste, qui finit par quitter le parti en 2009.
http://www.youtube.com/watch?v=8NULkfIke_Y
Si Soral s’est tout d’abord moqué de « cette énième rente de culpabilisation communautaire » dans Jusqu’où va-t-on descendre ?, il va rapidement s’entendre avec Dieudonné sur une ligne antisémite. Comme souvent dans ce qui se fera appeler la « dissidence », on se réunit du fait d’ennemis communs plutôt qu’en raison d’une convergence idéologique, explique ce livre.
Et les auteurs d’ajouter : « La nébuleuse ‘dissidente’ est un immense patchwork qui s’étend tous azimuts, sur le net comme dans les circuits militants. » Soral et Dieudonné vont présenter une « Liste antisioniste » aux élections européennes de 2009, plaçant à sa tête le président de la Fédération chiite de France, Yahia Gouasmi. Elle obtient 1,30 % des suffrages en Ile-de-France – seul endroit où elle était présentée. Un échec, doublé d’une polémique sur un financement obscur qui serait venu d’Iran.
Le logiciel soralien
« Cette affaire a tout d’une opération (…) conjointe franco-israélienne, soutient Soral à Eric Naulleau dans Dialogues désaccordés, leur ouvrage d’entretiens, à propos de la tuerie de Mohamed Merah à Toulouse en 2012. Et ce dans le but à la fois de diaboliser les musulmans en les associant au djihad, tout en rendant les Français sensibles à la cause israélienne. »
Au bout de leur enquête biographique, les deux journalistes concluent que « chez Soral, les Juifs sont partout. (…) La vision du monde d’Alain Soral repose sur l’idée d’un complot. Dans le rôle du marionnettiste principal, le lobby juif ». Ils expliquent ensuite que l’intellectuel ne sort jamais de théorie nouvelle, mais pioche dans les penseurs antisionistes et anitsémites du XIXe et du XXe siècles pour monter son argumentaire.
http://www.youtube.com/watch?v=ks9Zs-HLe4s
La biographie raconte aussi que quand il en a assez des Juifs, Alain Soral tacle ses cibles secondaires favorites, parmi lesquelles les francs-maçons, les « impérialistes » ou l' »Empire » et les « bobos-libertaires ». Son rêve : unir musulmans et catholiques dans un « front de la foi » « capable de résister à ‘la laïcité franc-maçonne’ et ‘l’esprit juif qui domine l’époque et l’avilit' », citent les journalistes. Il touche donc les esprits réactionnaires et radicaux de plusieurs mouvances, très diverses les une des autres, des radicaux noirs de la Nation of Islam – avec Kemi Seba – à Civitas, en passant par les « musulmans patriotes » comme Camel Bechikh et Farida Belghoul, initiatrice des « journées de retrait de l’école”.
En fin d’ouvrage, les deux journalistes expliquent que, si la cohérence idéologique n’est pas le plus grand souci d’Alain Soral, les recettes que permet d’engranger la « dissidence », elles, le sont. En effet, l’écosystème Soral, c’est : l’association Egalité & Réconciliation, le parti Réconciliation nationale, la SARL Culture pour tous, la maison d’édition Kontre Kulture, mais aussi des sites de produits bio, de vin, d’équipement de survie et une tonne de goodies. « La seule structure qu’il semble capable d’animer, résument Robin d’Angelo et Mathieu Molard d’un ton sarcastique, c’est son petit bazar en ligne où il fait commerce de ses idées comme de graines de tomates bio. »
« C’est le génie du capitalisme de tout transformer en marché, même sa contestation », conclut Alain Soral, cité par les auteurs.
Le Système Soral : Enquête sur un facho business, de Robin d’Angelo et Mathieu Molard, éd. Calmann-Lévy, 17€
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