Tous les journalistes musicaux le savent : rencontrer Lou Reed est une double promesse. Celle de vivre un des temps forts de sa carrière, mais celle, aussi, de possiblement passer un sale quart d’heure – voire deux. Légende du rock, le musicien a mauvaise réputation quand il s’agit de répondre à la presse : on […]
Tous les journalistes musicaux le savent : rencontrer Lou Reed est une double promesse. Celle de vivre un des temps forts de sa carrière, mais celle, aussi, de possiblement passer un sale quart d’heure – voire deux. Légende du rock, le musicien a mauvaise réputation quand il s’agit de répondre à la presse : on le dit raide, rude, n’hésitant pas à refuser des questions ou à limoger ceux qui oseraient le hors-sujet. La consigne a d’ailleurs été clairement énoncée : nous sommes conviés au palais de Tokyo pour rencontrer le grand Lou et évoquer avec lui son travail photographique – rien d’autre.
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Le soir même, l’Américain y présente son livre Rimes/Rhymes, le quatrième de sa carrière de photographe. On l’a parcouru de bout en bout, on a lu le beau texte de Bernard Comment qui l’accompagne, on est donc prêts à se jeter dans la gueule du Lou.
Les choses commencent avec un “Bonjour, je suis Lou Reed” impérial auquel on renvoie un “Bonjour, je suis Johanna” relativement mineur. Vite, l’Américain confirme la réputation qui le précède. Il n’est pas méchant mais intimidant, capable, en guise de réponse, de vous conseiller d’aller plutôt poser votre question à Picasso. Ou de dégainer un péremptoire :
“Je fonctionne à l’émotion. Je n’analyse pas mon travail, je ne cherche pas à comprendre.”
On lui répondrait bien qu’on est justement là pour ça, et qu’on a perdu le 06 de Pablo, mais l’heure n’est pas à la rigolade. Lou Reed se passionne pour la photographie depuis les années 60, à l’époque où le photographe Billy Name immortalisait la Factory de Warhol. Bientôt, son amour pour la discipline rayonne : les tensions se dissipent et l’artiste se montre très coopératif.
“J’ai travaillé avec Bernard Comment pour ce livre. Je ne voulais pas classer les photographies par lieux ou par dates, mais les regrouper par thèmes. C’est ce qui explique le titre du livre. J’ai toujours su que mes photos finiraient par rimer entre elles.”
Reed a ainsi mélangé, sans jamais les légender, des photos de villes (Paris, Bilbao, New York), des portraits de famille (sa mère, sa tante, sa femme), des scènes de sport, des paysages. Les portraits, bruts, sans artifices, impressionnent. “Je voulais qu’on voie les sentiments sur les visages. Et les modèles se moquaient de ma présence, comme ceux de Larry Clark dans Tulsa.” Les paysages, en revanche, affichent des ciels éblouissants – les contrastes sont amplifiés, les couleurs irréelles. “Je trouve fantastique que, grâce aux nouveaux appareils, on puisse encore découvrir des couleurs inédites.” Quand on lui demande s’il cherche la beauté à travers la photographie, Lou Reed se braque presque.
“Cette idée est abominable, prétentieuse. Je regarde simplement le monde comme tout le monde, mais avec un appareil photo.”
Pour autant, il regrette la place qu’a prise la photo dans notre quotidien avec le développement des smartphones, les applications Instagram… “Je trouve tout ça anodin. Une photo ne doit pas servir de souvenir, mais provoquer une émotion. Ce n’est pas de la photographie que de prendre en photo son repas. Ce n’est même pas une vraie photo d’ailleurs. Si vous voulez une vraie photo, allez d’abord acheter un vrai appareil.”
On promet qu’on le fera et on s’en va plutôt heureux. On a vu le Lou, et ça s’est bien passé.
Johanna Seban
Rimes/Rhymes (Éditions Photosynthèses), 376 pages, 70 €
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