Ainsi, sa maison de disques dévoilerait soudainement quatre-vingt-quatorze inédits de Lennon restés secrets depuis dix-huit ans ? Passons sur l’astuce marketing qui consiste à vernir du très appâtant terme inédit les maquettes, prises alternatives et autres enregistrements live, cette triplette magique capable de transformer n’importe quel fond de tiroir en caverne d’Ali Baba. Encore échaudé […]
Ainsi, sa maison de disques dévoilerait soudainement quatre-vingt-quatorze inédits de Lennon restés secrets depuis dix-huit ans ? Passons sur l’astuce marketing qui consiste à vernir du très appâtant terme inédit les maquettes, prises alternatives et autres enregistrements live, cette triplette magique capable de transformer n’importe quel fond de tiroir en caverne d’Ali Baba. Encore échaudé par la matière frustrante qui composait les trois volumes des Anthology des Beatles, on aborde ce coffret de quatre disques ? tout aussi improprement baptisé Anthology ? avec la méfiance du pigeon qui, voyant Noël approcher, se demande si on ne va pas le prendre encore une fois pour une dinde. Pour peu qu’on soit fan hardcore de Lennon ? les simples sympathisants peuvent passer leur chemin ?, la seule question qui vaille est celle-ci : doit-on cracher aveuglément au bassinet, se rabattre prudemment sur la compilation Wonsaponatime qui résume les quatre albums en un seul, ou bien garder des liquidités pour la réédition de luxe du White album prévue à la fin du mois ?
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L’écoute du premier volet oblige à pencher vers la première solution : constitué en majorité de titres de Plastic Ono Band et Imagine dans leurs versions à ciel découvert ? c’est-à-dire avant que Phil Spector ne les plonge dans sa fameuse brume pastorale et crépusculaire ?, il s’agit là, pour qui n’a jamais mis la main sur aucun pirate du type Lost Lennon tapes, d’une véritable mine de diamants. On n’y trouve pas uniquement des demos vite gratouillées sur un coin de guitare (I found out) mais bien les premières prises studio flamboyantes de God, Mother ou Isolation. On en viendrait presque à regretter que Spector ait ensuite un peu forcé sur le brouillard artificiel, tant ces esquisses limpides rendent justice aux interprétations vocales de Lennon, aux dépens il est vrai de la tension dramatique qui anime les versions définitives. Pour l’anecdote : une étonnante première lecture procol-harumesque d’Imagine ainsi qu’une version interprétée par Lennon du (médiocre) single God save Oz dont lui et Yoko Ono se soulagèrent en 71 pour venir en aide aux fondateurs du magazine underground Oz, alors poursuivis pour obscénités, et dont on ne connaissait que la version interprétée par Bill Elliot And The Elastic Oz Band. Seul véritable inédit : le traditionnel country Long lost John, qui n’est pas des plus indispensables.
Les deuxième et troisième CD rafraîchissent un peu nos ardeurs. Forcément, comme le déroulement choisi ici est strictement chronologique, à mesure que décline la qualité des albums originaux de la période 72-74, leurs équivalents alternatifs n’apportent guère de révélations spectaculaires. Au mieux, les notes d’intention qui présidèrent à l’enregistrement de Mind games, comme les premières pierres taillées en vue du façonnage de Walls and bridges, donnent-elles un aperçu de l’énorme sentiment de frustration qui devait ronger Lennon après son baptême new-yorkais. Tiraillé entre les concerts caritatifs, les tracas administratifs et les problèmes de son couple, son génie s’en trouve alors gravement émoussé. Néanmoins, la version primitive de One day at the time ou celle, sans les cordes du New York Philharmonic Orchestra, de Nobody loves you when you’re down and out constituent d’assez belles prises pour les exégètes. Des sessions rocambolesques de Rock’n’roll, on retiendra surtout les échanges verbaux entre un Lennon d’humeur taquine et un Phil Spector totalement survolté ? c’était avant qu’il ne se tire avec les bandes ?, ainsi qu’une incroyable exécution rampante et au ralenti de Be my baby.
Enfin, le quatrième volet intitulé Dakota rassemble pas mal de demos et préversions (dont six titres méconnus) mises en boîte jusqu’en 80, entrecoupées de vignettes domestiques ? Sean piaillant devant un père gaga, Lennon s’amusant à imiter Dylan et Harrison ? et dominées par un nouvel habillage de cordes réalisé en 97 par George Martin pour l’inachevé Grow old with me.
Au final, Anthology n’est donc pas tout à fait la poule aux œufs d’or qu’on annonçait ? il ne couve au total que dix vrais inédits ? mais ce n’est pas non plus l’attrape-pigeon qu’on pouvait craindre. Même sans Cold turkey ni Free as a bird, cette volière d’oiseaux rares vaut grandement la peine qu’on s’y laisse enfermer.
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