Alors que les saoudiennes vont pouvoir voter pour la première fois et faire acte de candidature lors des éléctions municipales le 12 décembre prochain, on constate que peu à peu, des changements s’opèrent pour la situation des femmes en Arabie Saoudite. Entretien avec la journaliste et correspondante à Riyad Clarence Rodriguez. Elle vient de co-réaliser le documentaire “Arabie Saoudite paroles de femmes”
C’est une première en Arabie Saoudite. Le 12 décembre prochain, les femmes pourront voter et se présenter aux élections municipales. Doucement, la situation des femmes est en train de changer. Installée depuis 2005 en Arabie Saoudite, Clarence Rodriguez vient de co-réaliser “Arabie Saoudite paroles de femmes” avec Bernard Casedepate. Ce documentaire de 52 minutes, prochainement diffusé sur France 5, montre les femmes saoudiennes telles que l’on ne les a jamais vues. Un long travail durant lequel la journaliste a dû apprendre à apprivoiser la société et les femmes saoudiennes. Entretien.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Qu’avez-vous voulu montrer à travers “Arabie Saoudite paroles de femmes”?
Clarence Rodriguez – J’ai voulu présenter les femmes saoudiennes telles qu’on ne les connaît pas, loin des clichés que nous, les occidentaux, pouvons nous faire. Tordre le cou aux préjugés que l’on peut avoir à l’égard de ces femmes, qu’on ne connait que très peu, voire pas du tout. C’est un documentaire inédit car les femmes que j’y montre exercent des activités professionnelles de haut niveau, de directrice de chantier qui supervise pas moins de 80 hommes à directrice marketing au sein d’une entreprise. Dans “Paroles de femmes”, on vous montre les femmes saoudiennes comme vous ne les avez sans doute jamais vues.
On retrouve notamment Madeha, qui est aussi un des personnages centraux de mon livre, Révolution sous le Voile (éditions First). En 1990, celle-ci faisait partie des 47 femmes qui se sont fait arrêter par la police religieuse, car elles avaient enfreint la loi en prenant le volant. Elles ont toutes ensuite été “blacklistées”. A la suite de cet événement, Madeha, photographe, s’est fait voler ses pellicules et a perdu son emploi, ce qui est évidemment très dur. Cette militante qui a un enfant handicapé m’a donc particulièrement émue, de par sa volonté et son courage. Les femmes qui témoignent dans le documentaire vont vous surprendre, elles sont à l’opposé des femmes qu’on s’imagine. En Arabie Saoudite, il n’y a évidemment pas que des conservatrices, ou des femmes très riches qui dépensent des sommes astronomiques dans des boutiques de luxe.
Comment ces femmes ont-elles réagi à votre proposition de documentaire? On imagine que ça n’a pas du être facile de les convaincre…
D’abord, les femmes qui se révèlent à visage découvert dans le documentaire avaient besoin de l’autorisation de leur mari, étant donné que les Saoudiennes ont un statut de mineur. Au delà de ça, il m’a fallu beaucoup de temps pour obtenir leur confiance. Il faut savoir qu’en Arabie Saoudite, le facteur temps est très important et bien sûr très différent du nôtre. Cela fait dix ans que j’y vis et j’ai donc d’abord appris à prendre du temps, afin de gagner leur confiance. Si ces femmes ont accepté de participer à ce documentaire, c’est parce que je les ai apprivoisées pendant longtemps, et que nous avons établi une relation de confiance. Je peux apporter une lecture plus fidèle de ces femmes, puisque je les vois vivre au quotidien.
Comment vont se dérouler les élections municipales, en décembre prochain?
C’est la troisième fois qu’ont lieu des élections municipales en Arabie Saoudite. Les femmes vont pouvoir voter, mais aussi être éligibles, ce qui représente une avancée historique. 30 femmes ont été nommées au Conseil de Choura. Celles qui veulent soumettre des projets et souhaitent faire impulser un renouveau suivront des cours dispensés par des femmes. Celles qui témoignent font preuve d’une force incroyable en se battant pour se faire entendre. Dans cette société très établie, les Saoudiennes s’organisent elles-mêmes en créant une société dans la société. Elles forcent le respect et donnent des leçons.
Les Saoudiennes peuvent enfin voyager seules, mais n’ont toujours pas le droit de conduire.
Elles peuvent effectivement voyager seules, sans forcément devoir rendre compte à leur tuteur, ce qui représente un grand pas vers l’avant. Même si le poids des traditions pèse, les Saoudiens veulent avancer, tout en faisant bien attention à préserver leur culture. Les femmes ne peuvent effectivement toujours pas conduire; moi-même, je ne conduis pas. Mais comme le pays doit faire face à d’importantes contraintes économiques, cela pousse néanmoins au changement. Déjà, toutes les familles ne peuvent pas s’offrir les services d’Uber ou d’un chauffeur. Un mouvement que je qualifierais de “marche silencieuse” prend forme depuis trois/quatre ans dans le pays. Il y a trois ans encore, les femmes ne travaillaient pas. Aujourd’hui, on peut voir des femmes caissières, vendeuses de sous-vêtements, ou occupant de hautes fonctions, comme je le montre dans le documentaire…Même si tout se fait encore avec l’autorisation d’un tuteur, cela représente une grande avancée.
Ce n’est peut-être pas forcément du côté de la monarchie que cela bloque le plus, mais dans la société, notamment du côté des femmes…
C’est vrai que la société n’est pas prête à trop d’évolutions, du moins trop rapides. La société saoudienne est très attachée à ses valeurs, à ses traditions et a horreur des “coups de poing”. En d’autres mots, il faut du temps pour faire passer des idées. C’est donc au sein même de la société -divisée – que certaines évolutions ont le plus de mal à passer. Cela remonte à 1744, lorsque l’émir Mohammed ben Saoud s’est allié au prédicateur religieux ben Abdelwahhab, imam fondamentaliste. Le roi Abdallah – décédé le 23 janvier dernier – était un vrai défenseur des femmes. En 2010, il avait discrètement annoncé qu’il prévoyait de faire voter les femmes aux prochaines élections. Le 25 septembre 2011, il a affirmé officiellement que les femmes seraient éligibles, et pourront voter en 2015.
Quel est le rôle des hommes dans cette évolution?
Si les femmes obtiennent ces droits, c’est parce que les hommes acceptent davantage et veulent que les femmes les obtiennent. Ils ne peuvent tout simplement plus vivre comme avant. Comme partout dans le monde, les réseaux sociaux ont bousculé la manière de consommer, mais aussi de voir les choses. En Arabie Saoudite aussi, la société bouge, mais à son rythme. Grâce aux nombreuses bourses mises en place par le roi Abdallah notamment, beaucoup de jeunes partent étudier à l’étranger, pour s’imprégner de l’éducation occidentale. Un grand nombre de ces jeunes part aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Ils partent pour mieux revenir ensuite, mais ne veulent surtout pas sauter les étapes.
Propos recueillis par Cora Delacroix
Arabie Saoudite paroles de femmes, 52 minutes, co-réalisé avec Bernard Casedepate, sera diffusé dans les prochaines semaines sur France 5 à 20h45, dans l’émission Le Monde en Face.
Clarence Rodriguez est à ce jour la seule journaliste accréditée, correspondante à Riyad. Elle est l’auteur du livre Révolution sous le voile, aux éditions First en février 2014.
{"type":"Banniere-Basse"}