En disque ou en vidéo, sur scène ou en documentaire, NTM oublie de faire son cinéma et n’oublie pas son underground : la ligne 13 du métro. Il y a un peu plus d’une décennie sortaient de l’underground, dans le sens métropolitain du terme, Kool Shen et Joey Starr, devenus depuis deux figures emblématiques de […]
En disque ou en vidéo, sur scène ou en documentaire, NTM oublie de faire son cinéma et n’oublie pas son underground : la ligne 13 du métro.
Il y a un peu plus d’une décennie sortaient de l’underground, dans le sens métropolitain du terme, Kool Shen et Joey Starr, devenus depuis deux figures emblématiques de la scène rap hexagonale. Tout a commencé donc sur la ligne 13 du métro : les deux NTM viennent de cet underground-là, d’une ligne souterraine qui relie la banlieue la plus pauvre de France à la capitale la plus snob du monde. D’un monde à l’autre, il y avait de quoi exploser ; les deux adolescents du futur Suprême Nique Ta Mère ont adopté avec talent la méthode artistique de leurs lointains cousins des ghettos américains. Ils ont « bombé » la ligne 13, couloirs et rames : leurs tags et leurs graphs ont été leurs premiers faits d’armes. Et puis, il y a tout juste dix ans, Joey Starr et Kool Shen de Saint-Denis s’extirpent de l’anonymat du métro pour enregistrer Je rape sur la compilation Rapattitude, l’album désormais culte qui va officialiser (pour ne pas dire récupérer) le mouvement en marche du rap français. « Le monde de demain nous appartient », rappaient les NTM à leurs débuts dans une vidéo soignée par Stéphane Sednaoui et l’on y croyait.
Aujourd’hui les deux NTM sont encore là, en tête des charts avec trois articles. D’abord, un double CD live sobrement et intelligemment intitulé Du Monde de demain à Pose ton gun ; ensuite, la vidéo de leur dernier et archibondé Zénith parisien, réalisée avec beaucoup d’idées et de moyens par le maître artisan du clip François Bergéron ; et enfin, une vidéo-docu autour du groupe durant leur dernière tournée, moins sobrement intitulée Authentiques, mais sans doute l’article le plus urgent à (a)voir. Ce docu autorisé est coréalisé par Sear et Alain Chabat : à elle seule, cette double signature résume bien la décennie du Suprême.
De l’underground intransigeant, représenté ici par Sear qui s’est fait une réputation et un nom en imposant son fanzine hip-hop Get busy, aux plateaux de Canal+, entre shows, talk-shows et marionnettes, entre faits divers et show-bizness, tout un monde que connaît bien Alain Chabat. Concrètement, les images tournées par Sear sont d’un amateurisme fraternel, celles faites par Alain Chabat qui a interviewé séparément les deux rappeurs d’une redoutable efficacité. Si, dans le film, aucune image du passé ne vient s’intercaler dans le fil du présent, Alain Chabat fait mieux que de remonter le temps : il filme le temps passé sur les visages de Joey Starr et Kool Shen. Cadres serrés sur des yeux cernés, travellings saisissants sur des rides naissantes, gros plans sur les profonds ravages du temps. Dans ce mécanisme de mise à nu, Joey Starr le barbare s’en sort sans montrer les griffes. S’apercevant sans doute des effets pervers de la mise en scène, il défie sourire en coin par un « J’sais pas si j’ai 32 ans, moi je crois que j’en ai toujours 16. » Et il redevient Didier Morville, l’Antillais qui gueule sur scène comme « maman ». C’est un rictus filmé au plus près de la bouche de Kool Shen, quand il raconte ses relations avec son père prolo inquiet de son fils bon à rien, qui exprime parfaitement ce que fut le challenge de NTM.
Si ce cadrage les oblige à aller jusqu’au bout de leurs confidences, il leur permet aussi pudiquement de revenir sur les affaires de violences et de glisser du drame vécu à l’autodérision bien pesée. « Le problème avec le couple NTM, c’est qu’on ne sait toujours pas qui est le mec et qui est la meuf », balance Joey Starr dans le documentaire la phrase a fait son petit effet dans un milieu bien connu pour ne pas rire de tout, ce qui n’est pas la moindre qualité de ce film. Quand Joey Starr et Kool Shen reprennent aujourd’hui Le Monde de demain, on n’y croit plus, bien sûr. Mais s’ils parviennent toujours à nous entraîner dans leur flow, c’est peut-être parce qu’on retrouve dans chacune de leurs blessures un peu de nos désillusions.
Après l’excellent Authentik (1991), le sulfureux J’appuie sur la gâchette (1993), le hardcore Paris sous les bombes (1995), NTM, l’album éponyme qui a su si bien résumer leur Seine-Saint-Denis style (1998), sa force et ses limites aussi, voilà que le Suprême NTM nous plante avec un double CD et deux vidéos qui, assemblés, ressemblent à un méchant solde de tout compte. Joey Starr et Kool Shen ont beau nous dire « Non, NTM, c’est pas fini », on a tout à fait raison de ne pas les croire. Qu’ils reviennent ou pas, au fond, peu importe. Désormais, le monde de toujours leur appartient.