Josh Ostrovsky est devenu une star en plagiant des blagues sur Internet. Au-delà de sa réputation de gentil « serial copieur », de nombreux comédiens l’accusent aujourd’hui de s’enrichir aux dépens des internautes.
Il est gros, arbore une barbe fournie, un crâne rasé avec une longue queue de cheval et c’est une star sur Instagram. Celui qui a emprunté le pseudonyme provocateur « The Fat Jewish » (« le gros juif ») dispose de 5,8 millions d’abonnés sur la plateforme de partage de photos, soit plus que Barack Obama (4,4 millions) ou le comique Adam Sandler (865 000, seulement). Hors ligne, il s’appelle Josh Ostrovsky et il est l’un des « instagrameurs » les plus controversés du net.
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Pour cause : Josh Ostrovsky vole tout. Les photos, les textes, les illustrations, les tweets, les messages postés sur Reddit. Il les réutilise, les copie-colle. Et il n’hésite pas à zapper les sources et les auteurs de ses trouvailles. Un internaute a même compilé un « top des 50 blagues » que The Fat Jewish aurait pillées un peu partout sur les internets.
Le blague de trop
La dernière polémique en date concerne un tweet de Davon Magwood, un jeune homme afro-américain qui critiquait le 30 juillet dernier l’engouement des internautes à l’annonce de la mort du lion Cecil au Zimbabwe, par rapport à l’indignation lorsque des hommes noirs se font tuer par des policiers.
Going to start dressing like a Lion. That way cops know that if they kill me. White people will avenge me pic.twitter.com/FIFfcJwOQH
— Davon Magwood (@davonmagwood) 30 Juillet 2015
(« Je vais commencer à m’habiller comme un lion. Comme ça, les policiers sauront que s’ils me tuent, les Blancs me vengeront« ) Ostrovsky a ensuite copié la photo de l’internaute et réécrit la même phrase avant de la poster sur son compte Instagram, sans créditer l’auteur (il a depuis été rappelé à l’ordre et a ajouté le compte Instagram de Magwood dans la description). Il a ainsi obtenu 195 000 likes, contre « seulement » 8000 retweets pour le gazouillis de Davon Magwood. D’autant plus que John Ostrovsky est un homme blanc et que certains internautes l’ont accusé de s’approprier la parole d’un Afro-américain en recopiant sa « blague », qui était une critique réelle d’une situation extrêmement sensible outre Atlantique.
I’m not one to get involved, but there is a tremendous amount of outrage about this lion, maybe our energy should be focused elsewhere? OH MY GOD I ACTUALLY THINK I JUST SAID SOMETHING SLIGHTLY SERIOUS OK BACK TO DICK JOKES AND STUFF (@davonmagwood) Une photo publiée par thefatjewish (@thefatjewish) le 31 Juil. 2015 à 14h54 PDT
6000 dollars pour partager un contenu sur son Instagram
Une autre internaute a interpellé directement le « plagieur » sur Facebook et Twitter le 15 août dernier :
« Pour ceux qui ne le connaissent pas, The Fat Jew est quelqu’un qui a construit sa carrière en volant les blagues de Tumblr, Twitter, etc. Et il gagne sa vie sur le dos du travail d’autres gens, qui sont des écrivains ou comédiens qui galèrent (…) Si vous le suivez sur Instagram, arrêtez. Pareil pour Twitter. Si vous aimez le contenu qu’il poste, parce que ‘c’est drôle’, dites le moi et je vous donnerai le contact de ceux qui en sont à l’origine, qui sont drôles tout le temps et avec leurs propres mots »
Ostrovsky parvient en effet à gagner sa vie en monétisant sa popularité en ligne : s’il partage un produit sur son compte Instagram, il peut recevoir jusqu’à 6000 dollars (5200€) de la marque, ravie de pouvoir toucher plus de 5 millions de personnes. Il a d’ailleurs récemment signé avec une société de production très puissante appelée CAA, qui représente de nombreuses célébrités comme Britney Spears, George Clooney ou encore Leonardo DiCaprio.
« L’internet est un vaste océan de trucs »
Le 13 août dernier, le Hollywood Reporter annonçait qu’il avait même signé avec la chaîne spécialisée dans les programmes humoristiques Comedy Central pour développer un pilote de série. Quelques jours plus tard, d’autres comiques comme Paul Scheer et Rob Huebel se sont indignés de sa popularité, considérant qu’elle reposait entièrement sur du plagiat. Jusqu’à ce que l’on apprenne que le deal avec Comedy Central avait en fait été annulé.
Le 21 août 2015, The Fat Jew a accordé une interview au site américain Vulture pour répondre à ces critiques:
« Mes stagiaires et moi trouvons des éléments de la pop culture qui sont hyper pertinents et qui résonnent avec les gens, et quand on le sent bien, on le poste. Après c’est sûr, je comprends : j’aurais dû citer mes sources pour tous les posts. Ça a toujours été important pour moi. L’internet est un vaste océan de trucs, et parfois il est difficile de trouver la source originale. »
Il y promet également d’essayer, dorénavant, d’attribuer une source à tous ses « posts » et encourage les internautes victimes de ses vols à se manifester.
Les réseaux sociaux encouragent-ils au plagiat ?
De leur côté, Paul Scheer et Rob Huebel estiment que « les plateformes » qu’utilise Ostrovsky ont également une part de responsabilité dans la facilité avec laquelle il peut s’adonner au copier-coller sans vergogne. « Twitter et Instagram rendent ça beaucoup trop simple« , ont-ils expliqué au Huffington Post.
Pourtant, utiliser ces réseaux sociaux n’empêche en rien de créditer une source : il est possible de mentionner le compte de l’auteur d’un contenu dans le corps du texte du post. Même sur le réseau social Tumblr, où la majorité des billets qui tournent sont des reprises, il y a une procédure de « sourcing » codifiée qu’il est de bon ton de respecter (ajouter à la fois la personne qui est à l’origine du contenu et la personne qui l’a rebloggé et qui vous a permis de le découvrir).
En revanche, les internautes qui ne le font pas touchent à une faille manifeste des réseaux sociaux. Fin juillet dernier, Twitter a commencé à censurer les gazouillis qui plagiaient des blagues d’internautes sans les mentionner, lorsqu’ils sont signalés. Nous soulevions alors les limites d’une telle mesure, tandis que le réseau social parvient généralement à s’autoréguler, grâce à des internautes qui retrouvent aisément les sources originales des contenus postés. La décision de Twitter révèle qu’Internet a changé depuis la fin des années 2000. De plus en plus de questions liées au droit d’auteur et au plagiat sont soulevées chaque jour.
Une remise en question du modèle du self-made man venu d’Internet
L’ascension fulgurante de « The Fat Jew » remet en question le modèle du self-made man venu d’Internet. Comme l’a souligné Slate.com, il existe « tout un écosystème de vol de blagues qui se cache derrière son compte [Instagram]« . Et de mentionner 9Gag, un site internet (aux 19,3 millions d’abonnés sur Instagram) spécialisé dans la reprise de mèmes qui émanent de Reddit ou de Twitter, et qui ne cite que rarement ses sources.
John Ostrovsky a bien conscience de ce paradoxe et il a décidé de se créer un empire allant bien au-delà de son compte Instagram. Il a ainsi lancé White Girl Rosé, une marque de vin pour parodier l’amour des femmes blanches pour cette boisson, mais aussi une émission de radio sur Apple Music. Véritable stakhanoviste – quand il s’agit de développer son image- Ostrovsky planche aujourd’hui sur un livre autobiographique, Money Pizza Effect, qui sortira le 27 octobre prochain. Tout un programme.
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