Le mystérieux street artist Banksy ouvre un Luna Park punk et éphémère près de Bristol, épaulé par une cinquantaine d’artistes.
Damien Hirst et Massive Attack
Weston-super-Mare : le nom est aussi doux que le lieu lugubre. C’est dans cette station balnéaire délavée du Somerset, dans le sud-ouest de l’Angleterre, que Banksy a implanté sa parodie de parc d’attractions Dismaland (“dismal” signifiant “lugubre”).
Gardé par un personnel affichant des têtes d’enterrement, l’endroit, qui ouvre cinq semaines durant, abrite des œuvres originales de Banksy et de cinquante-huit autres artistes, dont Damien Hirst (une licorne dans un aquarium d’éther).
Mike Ross y a installé un double camion formant un S rappelant le signe $, et Jimmy Cauty un diorama d’une ville paralysée par une émeute. D’alléchants concerts y sont même prévus : Massive Attack, Savages, Run The Jewels, Sleaford Mods.
De rouille et d’orque
Dans ce Disneyland cauchemardesque, le château de La Belle au bois dormant est en ruines et l’accident de carrosse de Cendrillon se retrouve mitraillé par des paparazzis sans vergogne (clin d’œil glauque à Diana). Comme toujours chez Banksy, l’ironie et la confusion règnent.
Ainsi de cette sculpture d’orque, dont l’esthétique pop et fun envoie un signal rassurant mais trompeur : derrière le spectacle aquatique euphorique se cache une cuvette de toilettes.
Avec Dismaland, Banksy mène une charge contre la dictature de l’entertainment, dont le vernis masque une réalité déshumanisée, et donc dangereuse. Debord ne disait-il pas que “le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir” ?
Farce punk
Loin de se contenter de mener une réflexion postmoderne sur notre société du spectacle, Banksy s’emploie à dénoncer les mensonges politiques, écologiques, économiques… Il s’en prend aux delphinariums, alerte sur la catastrophe humanitaire des migrants, les représentant en statuettes prisonnières de navires télécommandés…
Farce punk, Dismaland institutionnalise l’anomalie et constitue dès lors une œuvre dystopique, perturbante par son contenu mais aussi par le paradoxe lui servant de mécanisme : en créant le buzz, le projet génère à son tour du spectacle, et déborde de son cadre spatiotemporel.
A l’origine fixé à 3 livres (environ 4 euros), le ticket d’entrée se revend d’ores et déjà à prix d’or sur eBay. Conséquence déplorable ou partie intégrante de l’œuvre ? Le malaise, lui, est total.