En maltraitant la tradition, Pascal Comelade réussit son meilleur album, traversé par la grâce de PJ Harvey.
Le gimmick est commode et, en plus, il amuse les enfants. Pascal Comelade serait donc ce musicien à fort accent catalan donc forcément débonnaire qui « joue sur des instruments jouets ». Un genre de Rémy Bric-à-Brac, ou Bric-à-Branque, caricaturé récemment au journal de 13 h de Claire Chazal en don Quichotte folklorique luttant avec des pianos miniatures contre les grandes orgues de la mondialisation, hâtivement ramené au niveau des pauvres sabotiers de nos campagnes ratissés par la surpuissance de Nike. L’image est séduisante, mais totalement à côté de la plaque : Comelade emmerde le petit artisanat local, pisse sur ce savoir-faire de clocher, lui préférant le grand troc international, le braconnage sur les cultures voisines plutôt que le labour scrupuleux d’une seule. Quant aux jouets de vos enfants, chère Claire, il les torture à petit feu.
Ses albums ne sont que collections de greffes mal prises, catalogues de malfaçons et autres massacres à la tronçonneuse en plastique de nos chers amis les vedettes de la musique pop Stones, Dylan ainsi que celles de nos aïeux.
On profitera du titre de celui-ci, L’Argot du bruit, pour avancer que Comelade, depuis des années, brûle la politesse à ceux qui n’emploient jamais les mots « tradition » ou « classique » sans les pincettes du respect, alors que lui démontre que c’est précisément en leur rectifiant le portrait qu’on garde ces vieux machins plus longtemps en vie. Ainsi, pas un sanglot n’obstrue inutilement les trompettes mariachis de L’Argot du bruit, pas de pathos dans la rumba, pas la moindre
larmichette à verser au bénitier de la nostalgie. Les faux airs tristes de Comelade Domisiladoré sont littéralement désaffectés, comme ces terrains qui n’aspirent qu’à se voir reconstruits, ces maisons destinées à être habitées de nouveau. La preuve : l’humble et rustique ermitage du Catalan reçoit par deux fois la visite de la plus prestigieuse des invitées, PJ Harvey, alors que bien des propriétaires de palace pourraient toujours se brosser pour inscrire sur leur livre d’or les ensorcelants Love to soon et Green eyes.
La grande affaire de ce disque, cette rencontre entre le pâtre de Vernet-les-Bains et la Cléopâtre de Yeovil, inattendu rapprochement géographique des sommets pyrénéens et des plaines rugueuses du Dorset, ne doit cependant pas assombrir le reste du paysage. Car un album de Comelade possède sa propre mécanique, une horloge intérieure faite de rouages secondaires en entraînant de plus vitaux, autant de pièces fondues dans la ferraille que dans l’or brut. Une nouvelle fois, L’Argot du bruit est un assemblage d’anecdotes picaresques à travers lequel se trame un récit subtil, singulièrement poétique : une tentative réussie de bâtir des châteaux en Espagne avec des allumettes consumées, où la moindre virgule ôtée flanquerait tout par terre. Au prix de cette minutie, Comelade peut s’offrir ce luxe interdit à tant d’autres, faux bricoleurs et vrais branleurs : celui de l’irrévérence. Pascal Comelade est le dernier punk.