Joyce Carol Oates interroge l’aura esthétique et symbolique de la boxe dans un brillant essai, tandis que F. X. Toole, l’auteur de Million Dollar Baby, érige sa violence en décor de série B.
L’oeil féroce de De Niro en surpoids dans Raging Bull. Stallone rugissant dans son minishort aux couleurs américaines dans Rocky. La silhouette figée pour toujours d’Hilary Swank à la fin de Million Dollar Baby. Aucun sport n’aura à ce point imprimé la pellicule. Par ses promesses de violence, de challenge, de spectacle mais aussi de tragique, la boxe n’a pas seulement alimenté des dizaines de films, elle a inspiré les écrivains (Norman Mailer et son Combat du siècle, autour de Mohamed Ali) et continue d’irriguer la littérature contemporaine (Mike Tyson dans Je suis une aventure d’Arno Bertina, etc.).
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Qu’est-ce qui fait de la boxe un si puissant objet de fascination, pour la foule autour du ring, partagée entre excitation, rage et effroi, ou l’écrivain qui l’érige en moteur fiévreux de son écriture ? F. X. Toole, à qui l’on doit déjà l’histoire ayant inspiré son élégie sportive à Clint Eastwood, réunit trois nouvelles dans son recueil De sueur et de sang. Pour cet ancien coach, la boxe incarne une combinaison parfaite entre course au sommet (compétition), labeur (entraînement) et appât du gain (show-biz). Ses histoires sont des concentrés de noirceur, où des boxeurs de seconde zone se perdent au gré de trajectoires crapuleuses pour finir au fond d’une ruelle.
La boxe, « un drame sans parole »
Flirtant avec le genre noir, F. X. Toole énonce ainsi une dramaturgie inhérente à la boxe. Elle repose sur le destin fracassé de ses protagonistes, « machines de guerre » coincées entre désir d’immortalité et autodestruction. C’est le cas de Tyson, outsider génial, délinquant fou, auquel Joyce Carol Oates consacre un chapitre de son essai De la boxe. Spectatrice avisée, l’auteur de Blonde fait de cet art populaire « un drame sans parole », « le plus tragique de tous les sports ». La boxe comme « rituel d’expiation », lieu cathartique, au même titre que la tragédie grecque.
Mais plus qu’à un récit, le combat renvoie à une danse folle, quasi tribale. Oates souligne la dimension chorégraphique de la boxe, sa force poignante, homoérotique. La sensualité de deux corps en guerre mais enlacés. Une exhibition de forces où les enjeux se révèlent éminemment politiques. Le ring forme l’espace d’une exacerbation des tensions intercommunautaires (Noirs vs Blancs) tout en les sublimant ; il promeut une brutalité hors norme, sauvage, mais ultracodifiée. De ce paradoxe, la boxe tire son aura, élevant la violence ritualisée en la plus brûlante des transgressions. La salle d’entraînement incarne le meltingpot américain. Même si Oates se refuse à faire de la boxe « une métaphore de la vie », elle et Toole y perçoivent un rêve collectif, fondé sur le sacrifice et la performance, le dépassement de soi. Ce n’est pas pour rien qu’Ali ou Tyson, « jeune Noir affamé désirant tout ce que l’Amérique blanche peut donner », rayonnèrent bien au-delà du ring.
Oates va jusqu’à fusionner la condition du boxeur et celle de l’écrivain, voués tous deux à la « subordination fantastique de soi aux fins d’une destinée rêvée ». C’est par cette quête d’idéal, mélangée à la pire filouterie, cet univers de bad boys si justement restitué par la littérature, que la boxe continue d’irradier comme un fascinant simulacre de vie et de mort.
Emily Barnett
De la boxe de Joyce Carol Oates (Tristram), traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke, 256 pages, 8,95 €; De sueur et de sang de F. X. Toole (13e note), traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, 128 pages, 8 €
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