La consommation de cocaïne est en constante augmentation depuis 2010, et touche désormais toutes les catégories sociales. La culture de l’hyper-performance et la morosité qui s’est installée au sein de la société ces dernières années y seraient-elles pour quelque chose ?
Au travail comme en soirée, chez les jeunes ou les moins jeunes, la consommation de coke n’a jamais été aussi forte en France. Selon le baromètre santé 2014, la consommation de cocaïne a augmenté entre 2000 et 2014. Avec un prix au gramme qui a largement baissé ces dernières années (environ 70 euros), à peu près n’importe qui peut désormais se fournir et consommer. Mais est-ce la seule raison du succès de la cocaïne ?
Le deuxième produit illicite le plus consommé en France
Dans les années 1980, la coke coûtait cher, et les consommateurs faisaient majoritairement partie de milieux très aisés ou de la jet set. Elle était considérée comme « la drogue des riches », à l’image des jeunes héros californiens des Lois de l’attraction. Depuis quelques années son usage est cependant de moins en moins rare au sein de la population : selon un rapport de l’OFDT (Observatoire français des drogues et toxicomanies) publié en mai dernier, c’est désormais le deuxième produit illicite le plus consommé en France après le cannabis.
La part des personnes ayant expérimenté la cocaïne a été multipliée par sept en deux décennies, passant de 0,8 % dans les années 1990 à 5,6% en 2014. Ainsi, selon Michel Kokoreff, professeur de sociologie à l’université Paris VIII et auteur de La drogue est-elle un problème? Usages, trafics et politiques publiques, la cocaïne n’est plus seulement susceptible d’être consommée par les acteurs de la finance ou les publicitaires, comme le veut le cliché, mais aussi par des barmen, vendeurs, cadres moyens ou maçons par exemple.
Contacté par Les Inrocks, il explique que l’histoire de la consommation de cocaïne en France remonte surtout aux années 1980, même si dans les années 1970, « on en consommait déjà pas mal ». Selon lui le nombre de consommateurs a longtemps été sous-estimé : au début des années 2000, on en recensait environ 250 000, sans tranche d’âge définie, « mais aujourd’hui le thermomètre est plus précis, et les instruments de mesure sont plus solides ».
« La chute du prix explique surtout cette augmentation »
Christian Ben Lakhdar, économiste de la santé, des drogues et des addictions, estime que « l’augmentation de la consommation de cocaïne est multi-factorielle. Mais c’est la chute du prix qui explique surtout cette augmentation significative ». Selon lui, la coke est passée de drogue élitiste à un produit de consommation de masse :
“On imagine bien qu’à parfois 60 euros le gramme, cela représente une maigre somme pour une personne qui travaille ou trois jeunes qui veulent s’amuser le temps d’une soirée.”
Cette baisse des prix est la conséquence d’une surproduction sud-américaine, l’Europe représentant un immense marché. Il y a de la demande, mais il y a surtout une offre très large. « Les modes de distribution ont également changé, relate Christian Ben Lakhdar. Maintenant, c’est ‘livraison à domicile’ et petits paquets, ce qui favorise en effet la consommation par un large nombre ».
Ce nouveau mode de distribution a notamment pour effet d’augmenter la consommation de cocaïne dans les rangs des très jeunes. Ainsi, « parmi les jeunes âgés de 17 ans, le niveau d’expérimentation de la cocaïne est de 3,2% », un chiffre en augmentation par rapport à 2011, d’après l’enquête de l’OFDT, publiée en mai dernier.
Michel Kokoreff nuance tout de même: « C’est facile de pointer du doigt les jeunes, mais il existe une importante partie de consommateurs beaucoup moins jeunes ». A savoir, ceux qui en font un usage moins festif, mais en consomment surtout pour résister à la pression du travail. D’un point de vue sociologique, les classes moyenne et supérieure en consomment donc, mais pas seulement, si bien qu’il n’existe plus de portrait type du consommateur.
La faute à l’hyper-performance ?
Mis à part le prix, la consommation de cocaïne est aussi liée à la spécificité de notre époque, c’est-à-dire au culte de l’hyper-performance dont il faut souvent faire preuve pour réussir à gérer sa vie, et surtout son travail, note l’économiste de la santé Christian Ben Lakhdar.
Johanna, 22 ans, a travaillé dans un bar parisien pendant deux ans. Un bar lambda, mais où il était tout aussi normal de taper des lignes de coke que de boire un verre de rosé : « Au début, en fin de services entre nous, puis en plein service, et pour finir, juste avant le boulot si il nous en restait un peu de la veille », raconte-t-elle.
« Il est vrai que nous vivons dans une société de la performance, et que la coke, c’est dans l’air du temps. Mais surtout, nous vivons dans une société qui sur-valorise le faire » avance Michel Kokoreff.
La dimension globalisante et l’économie autour de la cocaine n’est pas seulement criminelle, s’inscrivant dans l’industrie de la fête, elle a de beaux jours devant elle, selon le sociologue. Même si la coke demeure majoritaire dans les milieux festifs, elle possède une relativement “bonne image”. En consommer paraît moins glauque ou sale que d’autres drogues dans l’inconscient collectif. Et contrairement au joint qui dégage une forte odeur, il suffit d’effacer les possibles traces de poudre blanche sur le nez. « La coke colle plus à l’image ‘santé publique' », ironise Michel Kokoreff.
Booster un quotidien trop stressant
Dans son livre Vernon Subutex, Virginie Despentes décrit d’ailleurs bien la consommation de coke dans ce qu’elle a de contemporain. « Pour beaucoup, la coke apporte comme du piment dans la lourdeur et la morosité du contexte politique, économique, social », explique le sociologue. Elle est donc notamment utilisée pour booster un quotidien trop stressant.
Le Plan gouvernemental actuel (2013-2017) s’est fixé pour objectif de développer de nouvelles modalités de prise en charge des usagers de cocaïne, soulignant que le nombre de consommateurs de cocaïne a augmenté depuis les années 2000. Il prévoit notamment de poursuivre l’expérimentation de « consultations cocaïne ». Cela suffira-t-il ?