Pique-niquer avec des mini-cochons, boire un café avec des chouettes, emmener son petit toutou au resto bio ? Dans l’excentrique capitale anglaise, c’est tout à fait possible grâce à une longue série de pop-up singuliers entre passion animalière et tendance marketing.
Dans les parcs londoniens les chiens batifolent en liberté, la truffe au vent sans qu’il y ait jamais d’embrouilles avec les collègues à poil. Les dog sitters se baladent avec une dizaine de canidés en laisse sans ac(croc). Si les chiens aiment Londres, les Londoniens le leur rendent bien. L’Anglais d’ailleurs se montre fidèle à sa réputation d’excentricité quand il s’agit d’animaux. ll n’est pas rare qu’un bar ou une boutique ait un animal mascotte. Un chat, un chien la plupart du temps, même si on a déjà vu un lapin géant ou un cochon accueillir les clients.
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Des pop-up à poils et à plumes
Dernièrement, des pop-up (événements éphémères) plus insolites les uns que les autres ont fait leur apparition. Comme au Annie Owl Café, un café à hiboux ouvert pendant une semaine. L’événement était accessible par tirage au sort et près de 80 000 personnes ont tenté leur chance. L’adresse communiquée est un peu floue, mais pas besoin de chercher le pop-up café longtemps. Une longue file d’attente s’aligne sur le trottoir, devant un établissement aux vitres teintées. “They have fucking live owls in there !” s’exclame un jeune homme qui passe, en pointant du doigt la foule.
On prend place dans la salle à lumière tamisée. Par sécurité, les deux cocktails compris dans les 20 livres d’entrée ont été changés en smoothies. On annonce les consignes : pendant deux heures, on ne pourra bouger de sa chaise qu’en absence des rapaces, les flashs sont interdits… Quand on demande à Seb Lyall, l’organisateur, comment l’idée d’un tel événement lui est venue, il répond un vague « j’ai toujours été passionné ».
Sur les tables, des cartes de visites au doux nom de Locappy accompagnent les menus. “C’est la compagnie que j’ai créée, j’ai choisi une chouette comme logo”, précise Seb. Même si les bénéfices de la soirée seront reversées à une charity de protection des hiboux et des chouettes qui a préféré rester anonyme, c’est un sacré coup de pub. Dans la salle, deux fauconniers assurent le show et les petites bêtes se prêtent au jeu tant bien que mal : selfie-bou, posage de bras en téléphone portable. Pas super chouette finalement.
« Tout ça pour utiliser les animaux à des fins publicitaires ! »
Mais ces pop-up animaliers ne sont pas toujours très populaires auprès des défenseurs des animaux. Depuis trente ans, Thompson est membre de la London Animal Rights, une association de lutte contre toute exploitation animale. Pour elle, il n’y a pas de différence entre le pop-up café à chouettes et la chasse au renard : les animaux n’ont rien à faire dans le divertissement.
« Ils ont organisé tout cela à l’abri des regards parce qu’ils savaient très bien qu’il y aurait des objections, s’insurge-t-elle. C’était très perturbant de voir des photos et vidéos de l’intérieur du café, avec tout ce bruit, les appareils photo… Les animaux étaient apeurés et traumatisés. Or, les ailes des chouettes étaient taillées, leurs pattes attachées, avec aucune possibilité de s’échapper. Ce sont des animaux sauvages, c’est tout simplement écœurant. Tout ça pour utiliser les animaux à des fins publicitaires ! »
La militante du droit des animaux évoque aussi les débordements alcoolisés lors des night parties au zoo en 2014 où un jeune homme avait été retrouvé nu dans l’enclos aux pingouins et où de la bière avait été balancée sur les tigres.
Une pâtisserie sans gluten et une infusion « bonne haleine »
A cause de ces dérives les associations mettent la pression. Un Fox Cafe devait voir le jour pendant trois semaines en mai, avec en guest bébés écureuils et hérissons. « J’ai toujours eu envie de changer le regard des gens sur les renards et leur mauvaise réputation« , témoigne anonymement l’organisateur. « En trois jours, 3 000 personnes se sont inscrites au tirage au sort, ce qui prouve l’intérêt des gens.” “Quoi qu’il en soit, nous ne voulons causer aucun mal ou stress aux animaux. C’est donc le cœur lourd que nous avons décidé de renoncer à l’événement. » .
En revanche, un restaurant gastronomique pour chiens a vu le jour le temps d’un week-end. The Curious Canine Kitchen est un pop-up restaurant « holistique » servant des mets raffinés et biologiques sous l’égide d’un chef. Pour 20 livres, chaque chien accompagné de son maître avait droit à une série de plats comme texture de tripes, algues et purée de chou kale, mais aussi des rafraîchissements à l’eau de coco, un consommé de bœuf, un os à moelle, une pâtisserie sans gluten et une infusion “bonne haleine’ pour faciliter la digestion… Le tout avec option “doggy bag” bien sûr.
« Le plus dur était de ne pas laisser mon chien finir les gamelles des autres », raconte un heureux parent, ravi. Plusieurs fois repoussée, la prévision d’un “mini-pig picnic” en présence de mini-cochons trop choupinous a déchaîné les médias des semaines durant avant que l’événement organisé dans un pub ne passe pratiquement inaperçu.
Une « relation tarifée » avec l’animal
Le Dr Pru Hobson-West, professeur assistant en bien-être, éthique et société à l’école des sciences vétérinaires de l’université de Nottingham, étudie les relations entre l’homme et l’animal. Pour elle, ce nouveau phénomène peut être interprété de deux façons : l’envie de se reconnecter à la nature d’une part et, d’autre part, une vision romancée de l’animal perçu comme « pur » et moins compliqué que l’homme. Les cafés à animaux vendent leur présence comme une expérience relaxante.
Selon Pru Hobston-West, il faut aussi replacer la tendance comme un exemple supplémentaire d’utilisation d’animaux à des fins de divertissements, à l’instar des cirques ou des documentaires animaliers. Les florissants lolcats et autres animaux mignons rois des réseaux sociaux font appel aux mêmes ressorts. Mais pas seulement:
« Nous sommes en partie intrigués par la capacité des animaux à agir en miroir de l’homme. Ces rencontres se déroulent dans des endroits spécifiquement dédiés au divertissement et à la socialisation. Nous demandons aux animaux de faire partie de l’environnement social du café ou du bar. »
Certains clients du Lady Emporium Cat Cafe ont déploré de ne pas être autorisés à interagir avec les chats si eux-mêmes ne viennent pas à eux. Le client se sent floué et vexé d’être ainsi ignoré. Comme s’il avait payé pour une « relation tarifée » avec l’animal, explique le chercheur.
Nickie Charles est professeur et directeur du Centre for the Study of Women and Gender à l’université de Warwick. Ses recherches porte sur la relation homme et animal domestique. Pour elle:
« Les gens établissent des relations très proches avec leurs animaux; ceux-ci vivent à l’intérieur, partagent leur espace domestique voire leur lit. Cette tendance montre le manque de contact qu’ont les gens dans une ville urbaine. Ces cafés profitent peut-être de ce sentiment. J’ai entendu récemment que des chiots de chiens d’aveugles étaient mis à disposition des étudiants stressés par les examens afin qu’ils échangent câlins contre une petite rétribution. Les gens tirent quelque chose du contact avec l’animal, c’est sûr. »
Un pop-up café animalier d’un genre nouveau vient d’être annoncé à l’horizon de l’été 2016. Mais pour ce qui est du contact avec l’animal, pas sûr que les visiteurs en tirent beaucoup d’affection. En effet, c’est le blobfish qui en sera la star, cette bestiole des mers gélatineuse élue animal le plus moche du monde. Après la folie des animaux so cute partagés à tour de bras sur les réseaux sociaux et élevés au rang d’icônes pop, basculerait-on du côté obscur de la bête ?
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