Quels sont les artistes contemporains qui vous ont influencé ? Marcel Duchamp et Jacques Monory. Mais pas autant que mon père, Yoji. Il était cuisinier et créait des plats japonais en travaillant beaucoup leur aspect visuel. C’est lui qui, à sa façon, m’a donné mes premiers cours de design. Tout petit, je m’entraînais déjà à […]
Quels sont les artistes contemporains qui vous ont influencé ?
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Marcel Duchamp et Jacques Monory. Mais pas autant que mon père, Yoji. Il était cuisinier et créait des plats japonais en travaillant beaucoup leur aspect visuel. C’est lui qui, à sa façon, m’a donné mes premiers cours de design. Tout petit, je m’entraînais déjà à ses côtés. C’est comme ça que j’ai intégré la conception visuelle des Japonais qui est très élégante. Il y a une explication historique : comme Kyoto est très enclavé, ils n’avaient pas beaucoup de provisions. Ils ont donc élaboré une cuisine où tout ce que vous mangiez prenait plus de temps à être digéré. Et ça passait par la façon très subtile, très élaborée, de présenter les plats. Découvrir tout ça a été fondateur pour moi. Depuis, pour moi, tous les grands artistes et designers doivent aussi être de grands cuisiniers !
Revenons à Marcel Duchamp, en quoi vous a-t-il influencé ?
Sa pensée était insaisissable, et c’est précisément ce qui me touche parce qu’on ne cesse de demander aux artistes de refaire ce qu’ils ont déjà fait : la même chose en plus bleu, plus rouge, plus jaune. C’est un piège très courant que de toujours devoir refaire la même chose. Mais c’est ce qu’aime le public. On l’observe en musique. Quand un groupe a fait un hit, on attend que le titre suivant soit quasiment le même. Chez Duchamp, on ne retrouve pas cet aspect « marque de fabrique » que partagent pourtant tant d’artistes contemporains qui ont un truc et qui le reproduisent à l’infini. Il a toujours évolué. Pareil pour Jacques Monory : il ne cessait de se remettre en question. En ça, c’est vraiment un modèle.
Quel regard portez-vous sur l’art contemporain actuel ?
Je suis très amusé par la distinction entre le design et l’art : on considère le design comme quelque chose de très commercial alors que l’art serait pur, libre. Mais ce n’est qu’une question d’époque. Si vous remontez quelques siècles dans le temps, c’est l’art qui était commercial : les mécènes commandaient leurs portraits aux peintres. Et le design était purement gratuit : ce n’était que de l’ornementation. Ça s’est complètement renversé ! Je regrette qu’on oppose le design et l’art. Les gens cherchent à se rassurer en se disant qu’ils appartiennent à une église. Et ceux qui souffrent le plus de ces guerres de religion sont les étudiants. Les jeunes arrivent avec un esprit frais mais ont tendance à le perdre pour se mettre dans des rails et ne plus en sortir. Mais je garde l’espoir que les gens deviennent de plus en plus aventureux intellectuellement. Un écrivain peut devenir un programmeur. Un programmeur peut devenir producteur. On n’est pas dans le règne animal avec d’un côté, les végétariens et de l’autre, les cannibales.
Vous cherchez la même démarche en musique ?
Bien sûr. Là, je citerais Ryuichi Sakamoto. Il est complètement fou : en ce moment, son trip, c’est l’Afrique. D’ailleurs, je remarque que tous ceux qui reviennent d’Afrique disent : « Nous avons besoin de plus d’Afrique. » Je fais une vraie fixette depuis trois ans sur son album BTTB que j’écoute tous les matins. Du coup, je n’ai pas des goûts musicaux très diversifiés, je dois bien l’avouer.
Avez-vous le même rapport avec le cinéma ?
Avec le cinéma, c’est plus compliqué. J’ai trois enfants, donc c’est difficile de sortir. Mon influence la plus profonde, c’est les films japonais. Mon père a quitté le Japon après la guerre avec un goût inépuisable pour la culture de son pays. J’ai donc vu un nombre infernal de films de samouraïs et de yakusas. Ce sont toujours les mêmes thèmes qui reviennent : déshonneur, beauté, mort, etc.
Quel rapport entretenez-vous avec la littérature ?
Je lis de plus en plus. Je recommande toujours un bouquin formidable, Art as Experience de John Dewey. L’idée, c’est que la vie est une expérience, et que le but de l’art est de capturer cette expérience. La peinture d’une fleur n’est valable que si elle capte l’expérience de la vision d’une fleur. Voir une peinture doit également procurer le sentiment du processus créatif. J’aime aussi beaucoup Motivation and Personality d’Abraham Maslow qui donne des pistes très originales pour une éducation en dehors des sentiers battus, appuyée sur les processus psychologiques. En ce moment, je lis Behavior-Based Robotics (Intelligent Robots and Autonomous Agents) de Ronald C. Arkin : en gros, il développe l’idée qui m’est très chère que les nouvelles technologies doivent aller de pair avec une réflexion humaniste, trop souvent délaissée par les scientifiques.
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John Maeda sera l’un des intervenants du symposium « A chacun son ciel » organisé par l’Alliance graphique internationale (AGI) le 26 septembre au Centre Pompidou. Renseignements sur www.agi-paris-2001.org. A lire : Maeda@Media Journal d’un explorateur du numérique (Editions Thames & Hudson).
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