Yann-Fanch Kemener travaille depuis longtemps sur le vaste répertoire des chants à danser qui continue de captiver l’inconscient collectif du peuple de Centre Bretagne. Dans cette région, le kan ha diskan, chant à danser, demeure le mode d’expression privilégié et ne semble rien vouloir céder de ses prérogatives face aux autres formes, duos de sonneurs […]
Yann-Fanch Kemener travaille depuis longtemps sur le vaste répertoire des chants à danser qui continue de captiver l’inconscient collectif du peuple de Centre Bretagne. Dans cette région, le kan ha diskan, chant à danser, demeure le mode d’expression privilégié et ne semble rien vouloir céder de ses prérogatives face aux autres formes, duos de sonneurs en tête. En dehors des incontournables standards interprétés à chaque festoù noz, un certain nombre de chants sombrent peu à peu dans l’oubli, s’effilochent dans les mémoires. Et c’est là qu’intervient Kemener dont la rigueur d’interprétation évite au chant la perte de son esthétique propre. Contrairement à tous ces agriculteurs qui sont le fragile vecteur de traditions moribondes, Kemener se revendique musicologue et chanteur professionnel. Son talent réside dans la fidélité à une école mais aussi dans l’usage savant du répertoire traditionnel. Sur un disque précédent, les monumentaux Carnets de route, il donnait la parole à ces modestes et souvent anonymes détenteurs d’une culture immémoriale. Ici en compagnie de Valentine Colleter, Annie Ebrel, Ifig Troadeg, Marcel Guilloux et Erik Marchand, il passe aux travaux pratiques. Des travaux qui comme ceux de la ferme, savent être joyeux. Gavottes et plinn sont enfilés comme pour mieux décoller le cuir des semelles. Le bruit des souliers sur le sol témoigne de la fougue, du plaisir et de l’énergie déployés. Pour la première fois depuis des décennies, depuis les enregistrements Mouezh Breizh effectués en direct, il est enfin permis de prendre connaissance du kan ha diskan tel qu’il est pratiqué selon les règles d’un art ancestral, sans fioritures, a cappella. Les concessions faites à l’électricité et aux aguicheuses sirènes que sont bombardes et cornemuses sont ici abandonnées aux organisateurs des manifestations estivales. Car si on peut faire dire à un instrument une chose et son contraire, il n’en va pas de même pour la voix. Même si son propos est innocent ou désuet. Il est bien clair que ces kan ha diskan, par leur oralité bretonnante plus que par leur musicalité, sont irrécupérables. Ils sont le fondement même de la culture bretonne. Sans eux, celle-ci ne serait plus qu’un argument pour guinguette touristique. Le verbe de Yann-Fanch Kemener et de ses acolytes est si authentique qu’il les dispense du port intempestif d’un quelconque oripeau identitaire.
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