Le Sentier lumineux a semé la terreur au Pérou dans les années 1980-90, jusqu’à son déclin après l’arrestation de son leader en 1992. Pourtant une cinquantaine de ses otages ont été libérés fin juillet par l’armée. Que reste-t-il de cette terrible organisation d’inspiration maoïste ?
Le Sentier lumineux vient de faire une réapparition inattendue au Pérou. Fin juillet, deux opérations militaires distinctes ont conduit à la libération de 34 enfants et 20 adultes otages de cette organisation armée d’inspiration maoïste, engagée dans une guérilla sanglante contre l’Etat dans les années 80 et 90. La grande majorité d’entre eux appartiennent à l’ethnie Ashaninka. Ils cultivaient la coca dans des camps de travail agricole de la jungle amazonienne, dans le centre du pays. L’armée considère que des dizaines d’autres personnes sont encore captives.
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Comment est-il possible que le Sentier lumineux, que l’on dit éradiqué depuis l’arrestation de son leader idéologique, Abimael Guzmán (condamné à la prison à perpétuité), et de ses principaux dirigeants en 1992, soit encore actif au point d’être capable de réduire en esclavage ces populations ? Que reste-t-il de l’organisation de guérilla la plus violente d’Amérique latine ?
« Une organisation extrêmement verticale »
En 1992, l’incarcération d’Abimael Guzmán porte un rude coup au mouvement. « C’était une organisation extrêmement verticale, qui reposait beaucoup sur son chef : l’arrêter revenait à mettre un coup d’arrêt à l’ensemble du mouvement, d’autant plus qu’il était alors dans une phase d’essoufflement », explique Camille Boutron, sociologue spécialiste du Pérou à l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
En 1993, après quelques mois de détention, Abimael Guzmán signe un accord de paix avec le président péruvien de l’époque, Alberto Fujimori. L’ancien professeur de philosophie de l’université d’Ayacucho (dans le sud du Pérou) donne pour consigne de déplacer la lutte armée dans le champ politique. Mais une partie du Sentier lumineux ne le suit pas. Des militants réunis dans la tendance « proseguir » (poursuivre) refusent de rendre les armes. « Les militants du Sentier lumineux que l’on voit en action depuis les années 1990 jusqu’à maintenant sont des membres de Proseguir, qui ne sont pas nécessairement en accord avec les fondateurs », relate la sociologue. Le successeur du « président Gonzalo » – comme les sendéristes surnommaient Abimael Guzmán – se nomme Oscar Ramirez. Arrêté en 1999, il était « le dernier leader historique de la génération 80 ».
« Abandon du discours politique »
En quoi consiste le « nouveau Sentier lumineux » ? Il ne partage plus la visée politique du mouvement historique, et ne se concentre plus que sur le contrôle d’un territoire reculé, dans lequel l’Etat est incapable d’intervenir.
« La guérilla du Sentier lumineux (SL) à partir de 2000 jusqu’à aujourd’hui abandonne son discours politique, son projet national de prise du pouvoir, pour ne plus se consacrer qu’au contrôle territorial des ressources de coca, explique Camille Boutron. Il s’agit d’une bande de mercenaires armés qui s’articule autour des narcotrafiquants, qui a un contrôle sur un territoire et qui y exploite une population vulnérable ».
Au passage, le SL fait quelques victimes lors d’embuscades tendues à des militaires, et prend en otage des travailleurs d’un gazoduc en 2003.
Le mouvement n’est plus actif que dans deux zones reculées
Le mouvement sendériste n’est plus actif que dans deux zones désormais : celle du Haut-Huallaga, en Amazonie centrale, et dans la région baptisée Vraem (Vallées des rivières Apurimac, Ene et Mantero), là où ont été retrouvés les otages. En 2012, le dirigeant du Comité régional du Haut-Huallaga, le camarade Artemio, est capturé. Il est condamné en 2013 à la prison à perpétuité pour terrorisme, trafic de drogue et blanchiment d’argent.
Le dernier foyer de « rébellion » sendériste se concentre donc plus au sud, dans la zone du Vraem, où les frères Quispe Palomino – résolument opposés à Abimael Guzmán – sont à la tête de centaines d’hommes armés. En avril 2012, ils avaient pris en otage 30 travailleurs d’une exploitation minière. « Ils ont été relâchés sans qu’on sache comment ni pourquoi. La presse n’a pas dit quel avait été l’objet de la transaction », se souvient Camille Boutron, affectée au Pérou à l’époque pour ses recherches. En 2013 l’un des deux frères Quispe Palomino a été tué par l’armée, mais la libération récente d’une cinquantaine d’otages témoigne de la permanence du groupe armé, qui profite de la géographie du terrain : « Il n’y a ni routes ni réseau dans ces régions là : on peut maintenir des gens isolés du monde », souligne Camille Boutron.
Tentative de transformation en parti politique
Les derniers bourreaux du Sentier lumineux peuvent donc œuvrer en toute discrétion, d’autant plus qu’ils ne suscitent pas une attention très soutenue de l’Etat : « Le Pérou, c’est 29 millions d’habitants, dont 9 millions vivent à Lima. Ces zones représentent donc très peu de personnes, dans un pays très centralisé et dans lequel l’organisation sociale est très hiérarchisée par rapport aux origines ethniques », explique la sociologue. La presse péruvienne a d’ailleurs donné peu d’écho à la libération des otages.
En parallèle de ces quelques centaines de mercenaires toujours engagés dans la lutte armée, une autre partie du Sentier lumineux cherche à se constituer en parti politique, selon la volonté initiale d’Abimael Guzmán. Depuis 2009, c’est la vocation du Mouvement pour l’amnistie et la défense des droits fondamentaux (Movadef), dont le responsable est l’avocat du leader octogénaire du SL. Cette association qui milite pour l’amnistie des personnes condamnées pour terrorisme et violation des droits de l’homme dans la guérilla (qu’ils soient sendéristes ou militaires) s’est vue refuser le statut de parti politique en 2012 par le bureau des élections.
Créée en 2001, la Commission Vérité et Réconciliation a estimé à 70 000 le nombre de victime de la guérilla, dont 61% du fait des sendéristes, et entre 30 et 35% du fait des forces armées et policières. « Le conflit fait encore partie de l’histoire présente », conclut Camille Bourton.
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