Coup de tonnerre à l’OM. Samedi soir, à l’issue de la défaite du club phocéen face au club de Caen, l’entraîneur argentin Marcelo Bielsa, surnomé « El Loco » a décidé de claquer la porte pour des raisons qui restent troubles. Thomas Goubin, journaliste sportif et auteur de « Marcelo Bielsa El Loco Unchained » nous parle de cet entraîneur unique.
« J’ai commencé à m’intéresser à Bielsa en détail lorsqu’il était à Bilbao (…)le fait qu’il soit arrivé à Marseille, qu’il ait suscité cet enthousiasme en France, le fait qu’il paraît hermétique, qu’il intrigue, m’a fait dire qu’il fallait présenter ses différentes facettes.« , expliquait Thomas Goubin au site Le Phocéen au mois de mai dernier. Installé au Mexique, ce journaliste sportif (collaborateur aux Inrocks) est l’auteur de l’ouvrage Marcelo Bielsa El Loco Unchained (ed. Hugo Sport). Pour les Inrocks, il réagit au coup de tonnerre survenu samedi soir, avec la démission du coach argentin, après la défaite de l’OM sur sa pelouse face au SM Caen (0-1) de la première journée de Ligue 1.
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Samedi soir, Marcelo Bielsa a présenté, à la surprise de tous, sa démission du poste d’entraîneur de l’OM, après seulement une seule journée de championnat. Cette décision vous surprend-elle ?
Thomas Goubin – Forcément. Je crois qu’absolument personne ne s’attendait à une telle décision, d’autant plus après sa conférence de presse de jeudi où il semblait avoir délivré un satisfecit à Vincent Labrune pour son travail. Mais cette démission inattendue n’a toutefois rien d’une anomalie dans la biographie de Bielsa. S’il se sent trahi, que ses dirigeants ne respectent pas leurs engagements, il peut s’en aller du jour au lendemain. Il l’a notamment fait à deux reprises, au Mexique, à l’Atlas Guadalajara, au coeur des années 90. Son départ de la sélection argentine après six ans de collaboration avait aussi littéralement scié ses compatriotes. Alors qu’il avait donné un nouveau souffle à l’Albiceleste, après le terrible échec du Mondial 2002, il avait jeté les armes, se disant « épuisé »
Le président de l’OM a appris la nouvelle via la presse qui a eu la primeur de cette information. Est-ce étonnant quand on connaît les relations qu’entretenaient l’ex coach de l’OM et les journalistes ? (refus de parler français et de les regarder dans les yeux par exemple)
Plus que de donner la primeur aux journalistes, il a surtout contourné le rapport direct à sa direction. Quand Bielsa se braque avec ses dirigeants, il y a rarement possibilité de faire marche arrière. Pour lui la direction d’un club est un mal nécessaire, le réel patron d’un club doit être son entraîneur.
Est-ce que les histoires se finissent nécessairement de cette manière entre Bielsa et le club qu’il entraîne ? Comment peut-on expliquer son instabilité chronique à ne jamais rester plus de deux ans dans le même club ? D’autant plus quand on prend conscience de ses exigences en matière de moyens et d’effectif ?
Ses exigences sont fortes en termes d’infrastructures, de moyens donnés pour réaliser le meilleur travail possible, mais surtout, Bielsa ne peut supporter qu’un engagement ne soit pas tenu. Les négociations de ses contrats ne traînent pas en longueur pour rien. Le cadre de son travail doit être minutieusement défini et à la moindre anicroche Bielsa peut exploser ou s’en aller. L’homme introverti des conférences de presse est aussi un sanguin.
A Bilbao, il avait été rendu furieux par le retard pris dans la rénovation des installations du club. La direction basque avait alors défendu le maître d’oeuvre du chantier, ce que Bielsa avait pris pour un acte de défiance envers son autorité. Cette fois, il était resté un an de plus, mais il ne se reconciliera jamais avec ses dirigeants.
Peut-il s’agir d’une décision uniquement motivée par un différend financier ? D’autant plus que Marcelo Bielsa n’était pas sans contrat car la législation française ne permet pas de ne signer qu’une seule année de contrat.
L’argent ne motive pas Bielsa. Il se fait bien payer, mais le fait qu’il insiste pour ne signer que des contrats d’un an en club prouve bien qu’il ne chasse pas l’indemnité. Au Chili, il a même contribué sur ses propres deniers à la rénovation des installations de la sélection. Sur l’histoire de la prime de 300 000 euros remise en cause lors de la réunion de mercredi, elle était destinée, selon les infos parues dans la presse, à la cellule recrutement, c’est-à-dire à un projet collectif, ce qui a clairement pu braquer El Loco.
Ce n’est pas la premier coup de folie de celui que la presse a surnommé « El Loco », mais cette fois, n’a-t-il pas pris le risque d’écorner sérieusement son image ?
Le timing n’est clairement pas idéal. On peut l’accuser de mettre la saison de l’OM en danger. Connaissant le personnage, il est toutefois difficile de penser que sa décision fut machiavélique. S’il prend bien une année sabbatique comme l’ont annoncé certains media mexicains hier, son comportement sera cohérent avec ses principes.
Partout où Bielsa a entraîné (club ou sélection), il a tout de même laissé un excellent souvenir aux joueurs et supporters : s’agirait-il malgré son caractère explosif d’un des plus grands technicien de la planète ?
Il est clairement l’un des meilleurs formateurs et post-formateurs de la planète. Partout où il passe l’empreinte qu’il laisse sur ses joueurs, notamment les plus jeunes, est immense. Il leur donne un éventail d’outils pour exercer leur profession sans doute sans égal. Quant à ses résultats, ils ne parlent effectivement pas d’un des meilleurs entraîneurs de la planète, mais je le considère, pour ma part, comme l’un des plus exaltants, pour avoir le courage de demander à ses équipes de toujours prendre l’initiative du jeu, quelque soit l’adversaire. C’est aussi un immense théoricien du jeu, un érudit, mais qui manque sans doute d’un peu de flexibilité pour disposer d’un palmarès plus copieux. Quoi qu’il en soit, atteindre deux finales (Europa League, Coupe du Roi) avec l’Athletic Bilbao vaut bien un titre avec le Real Madrid, un club dont il avait refusé une offre. On n’est pas admiré par Guardiola par hasard.
Son jeu porté vers l’attaque qui passe par un temps important de visionnage de vidéos n’est-il devenu anachronique dans le football moderne ? Un entraîneur de cette trempe, de ce caractère, à l’âge qui est le sien, a-t-il les moyens de renouveler ses schémas de jeu et ses idées directrices ?
Plus que son âge, je crois surtout que ce sont ses idéaux, ses principes, qui l’empêchent de se renouveler. Avec un peu plus de souplesse, Marseille aurait peut-être été champion. Mais s’il s’était montré plus prudent lors de la première moitié de saison, l’OM aurait-il été champion d’automne ?
Quoiqu’il en soit, il est difficile de nier que regarder son OM était un plaisir, d’autant plus dans un championnat engoncé dans ses options frileuses.
Quel bilan tirer de ses 14 mois passés à l’OM ?
Je crois que son passage va rester dans la mémoire des supporters olympiens mais aussi de tous ceux qui voudraient que la Ligue 1 ouvre son esprit vers d’autres manières de faire. Le Vélodrome est redevenu enthousiaste, s’est emballé pour cette équipe conquérante, même si en terme de résultats, ce fut une saison décente, rien de plus.
Mais on peut s’avancer à dire que Bielsa aura laissé une immense empreinte sur ses joueurs. Si des Javier Mascherano, Javier Zanetti, Ander Herrera, ou Alexis Sanchez, le remercient encore aujourd’hui, il n’y a pas de raison que certains joueurs de l’OM ne soient pas marqués à jamais par Bielsa.
Croyez-vous à la rumeur qui l’annonce prochainement à la tête de la sélection mexicaine ? Il y a-t-il eu des réactions dans la presse mexicaine ?
Le Mexique a tout pour séduire Bielsa. C’est un second couteau qui aspire à devenir outsider, exactement le genre de profil qu’affectionne Marcelo Bielsa, qui n’aime rien tant que maximiser le potentiel de ses joueurs et les convaincre qu’ils peuvent batailler d’égal à égal avec les plus grands. Au Mexique, El Loco disposerait aussi d’installations de grande qualité. La Fédération mexicaine est riche, elle peut répondre aux exigences de Bielsa. Mais le voudra t-elle ? Samedi soir, la presse mexicaine le voyait prendre les rênes d’El Tri lors des prochaines semaines, mais dimanche soir, elle parlait d’un refus de l’entraîneur argentin. Quoiqu’il en soit, Bielsa a l’habitude de prendre son temps avant de passer d’un projet à un autre.
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