Alors que sort Let It Come Down, le quatrième album studio de Spiritualized, petit retour rapide sur la discographie du groupe et de son leader/géniteur, Jason Pierce. en prime, l’album en écoute et le clip de Stop Your Crying sur notre mini-site.
17 ans que Jason Pierce trempe dans la musique : ses premiers faits d’armes remontent au début des années 80, lorsqu’il fonde le groupe culte Spacemen 3, aux côtés de Sonic Boom. Séparé au début des années 90, Spacemen 3 a laissé un héritage considérable, qui contient les germes de Spiritualized.
Spacemen 3
On oubliera le premier album, The Sound of confusion, sous influence Stooges/Cramps/Velvet, qui a mal vieilli. En revanche, on se jettera sur The Perfect Prescription, le second album du groupe : là, on retrouve les deux faces de Spacemen et Spiritualized, à savoir : une fureur rock’n’roll très primitive et acérée (Take me to the other side reste un morceau d’anthologie furieuse), et une spiritualité psychotrope, préfigurant la musique de drones et la vague ambient. En ce sens, la reprise du Transparent Radiation de Red Crayola demeure un classique absolu). L’album comporte, entre autres pépites, un hommage à Lou Reed (Ode to Street Hassle, drogué et funambule à merveille) et une version primitive de l’hymne de Spacemen, Walkin with Jesus, un morceau que Spiritualized continue à jouer sur scène.
Après un album live, de bonne facture, Performance, Spacemen 3 sort Playing with Fire, sur lequel le groupe s’éloigne de ses amours stoogiennes noisy, pour embrasser un psychédélisme soul et gospel alors inédit : les morceaux s’étirent délicatement, les guitares deviennent des fantômes aux échos éthérés. Seuls deux morceaux rappellent les origines rock’n’roll du groupe : un Revolution inspiré du Black To Comm mythique du MC5 et Suicide, inspiré, bien sûr du duo du même nom.
Après ce disque, Spacemen sort un maxi, Hypnotized, qui réinvente sa musique en la mêlant aux grooveries syncopées des Happy Mondays : une vraie bombe pour dancefloor de martiens sous héroïnes, au ralenti définitif. Un grand tube ignoré.
Le dernier album du groupe, Recurring, marque le divorce entre Jason et Sonic : chacun occupe une face. Celle de Sonic tente un crossover vaguement acide et vite oublié. Celle de Jason, en revanche, pose toutes les pierres de l’édifice Spiritualized : des chansons hantées par des histoires d’amour perdues, qui inventent un blues cosmique et hypnotique, halluciné.
Quelques années après la disparition de Spacemen, sortira une compilation de leurs trois premiers maxis, édités par l’éphémère label Glass : là, on retrouve des versions inédites de leurs morceaux les plus emblématiques. Les variations autour de Transparent Radiation valent à elles seules le détour.
Spiritualized
Le premier album de Spiritualized, sort en quasi catimini, après une série de maxis, dont le très symphonique Feel so Sad, d’une durée de 13 minutes, qui réécrit avec des cheveux d’ange une miniature du dernier Spacemen 3. Dans la foulée, le premier album du groupe, Lazer Guided Melodies, continue à rebâtir les fondations de Spacemen. Dans le disque, on trouve des emprunts à JJ Cale ou Lou Reed, et surtout une enfilade de chansons d’amour, enrobées de bourdonnements, de souffles de vieux amplis vintage, d’accords d’orgues réverbérés. Jason semble écrire là tout son amour pour Kate Radley, sa compagne d’alors (devenue, depuis, Mme Ashcroft), tout en exorcisant certains de ses démons. Le morceau 200 bars est, en ce sens, complètement révélateur : « I’ll lose my soul in 200 bars« . Rien de moins.
Avant le second album du groupe, Pure Phase, Spiritualized sort un album live, en tirage limité. Ce disque, Fucked Up Inside est un témoignage des concerts jouissifs que donnait alors le groupe, salopant les chansons du premier album et reprenant avec bonheur le Walkin With Jesus des Spacemen. Ce disque vaut d’ailleurs bien mieux que le double live au Royal Albert Hall, dénué d’énergie brute.
Pure Phase, aujourd’hui, donne l’impression d’un disque de transition, pas très éloigné du premier album, mais moins étonnant, moins fragile aussi.
Lorsque sort Ladies & gentlemen we Are Floating In Space, tout va mal pour Jason : Kate le quitte pour épouser Richard Ashcroft. Le disque, malgré les démentis de Jason, semble ne parler que de cela, du désespoir de la séparation : une tristesse malsaine sourd des chansons lentes, tandis que les morceaux plus rock semblent être une tentative d’exorcisme par le bruit et la fureur. A cet égard, les deux meilleurs morceaux de l’emblême sont celui qui l’ouvre et celui qui le ferme : Can’t Help Falling In Love, chipé à Presley est une ode à fendre les c’urs, tandis que Cop shoot Cop est une odyssée tout en feedback, colère, montées, grincements de guitares sales. Jason atteint là un sommet : ni space-rock, ni prog-rock, son disque se situe dans une marge délicate, aux frontières entre le suicide et la beauté absolue. Un disque qui s’explore encore, plus qu’il ne s’écoute.
A l’époque, Jason a l’air livide et cadavérique. Il semble rongé, lorsqu’on le rencontre dans une chambre d’hôtel, en vieil ami : il cache alors une tristesse douloureuse, malsaine. C’est à ce moment-là qu’il intègre dans son répertoire live le classique Happy Days, qui laisse présager de lendemains plus heureux.
Quatre ans plus tard, en juillet 2001, Jason affiche un sourire radieux, et un regard illuminé : plus rien à voir avec le zombie de la rencontre précédente. Normal : il est désormais père d’une petite fille et vient de terminer son disque le plus ambitieux, au moins du point de vue de l’écriture. Let It Come Down tente de retrouver le son des disques de Cole Porter ou Ella Fitzgerald : du coup, Jason a réuni une centaine de musiciens, pour jouer les morceaux qu’il a composés au piano, chez lui (une première : d’habitude, les morceaux du groupe étaient composés durant de longs séjours en studio). Moins baroque que son prédécesseur, Let It Come Down est intimiste et gargantuesque, drôle et explosif. Le dernier morceau, une reprise de Spacemen 3, fait trembler la chair et les os : assurément l’un des plus beaux de l’année.