Dans sa très attendue nouvelle exposition, l’artiste Philippe Ramette confirme les promesses d’une uvre jusqu’alors considérée comme une collection d’objets insolites. Où l’on découvre un regard politique acerbe.
Depuis trois ans, presque rien ou si peu, quelques apparitions épisodiques l’année dernière à la Fiac, à Gand en Belgique pour l’exposition Over the Edge, et puis cette année au BHV et au Centre d’art contemporain de Meymac… Mais à chaque fois, rien de bien conséquent, quelques pièces dispersées, par-ci par-là, une mobylette crucifiée, un arbre piercé au château de Bionnay, des chaises suicidaires, pendues à une corde, suscitant à chaque fois le désir d’en savoir davantage sur l’univers décalé de cet artiste de 40 ans.
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Car jusqu’ici, l’ uvre de Philippe Ramette était encore considérée comme une discrète collection d’objets insolites et de projets loufoques, dessinés avec minutie et relevés par un remarquable coup de trait à la Glenn Baxter. Très attendue, la nouvelle expo solo de Philippe Ramette à la galerie Xippas est donc l’occasion pour l’artiste de rattraper le temps perdu, de confirmer les promesses engagées par ses premières pièces comme une impensable paire de béquilles pour nouveau-né, et ses coups d’éclat photographiques pour lesquels il semble exceller ; le dernier en date est la réalisation cet été, dans la baie de Hong-Kong, d’une renversante prise de vue dans laquelle, défiant la pesanteur, l’artiste pose à la verticale, agrippé à une infrastructure en bois ressemblant à un balcon, tandis qu’au second plan, c’est toute la mégalopole asiatique qui apparaît couchée à l’horizontale. Une image spectaculaire, largement diffusée dans les magazines, d’autant que Ramette ne recourt pas à la manipulation de l’image numérique, mais opère sur place, in situ, en prise directe.
Suite logique : ses inventions, qui prennent souvent la forme de prothèses, sont des machines à expérimenter le monde. Elles commencent par une vision, un dessin, et si les moyens le lui permettent, elles prendront par la suite la forme d’un objet ou d’une photographie. Prolixe en idées, mais ralenti par la lourdeur de la réalisation, Ramette a donc appris ces dernières années à s’entourer de précieux collaborateurs qui participent autant à la création qu’à la fabrication de ses inventions : le photographe Marc Domage réalise les prises de vue comme celle du Balcon à Hong-Kong, et le cabinet de design Unitzone, en plus de s’occuper des relations avec les ébénistes, collabore à la scénographie de l’exposition, au risque parfois de l’entraîner vers une sorte de showroom, un étalage de meubles atypiques.
Ironiques ou grinçantes, au point d’être parfois assimilées à l’esthétique sadomaso, les pièces de Ramette ont pu être l’objet de méprises, de contresens, à l’image de la Chaise d’amour, un meuble en bois ergonomique avec des poignées ajustables, de nouveau exposée à la galerie Xippas : « Lors de la première exposition de cette table, les femmes voyaient une nouvelle pièce de domination sexuelle masculine. Mais c’est loin d’être une uvre machiste. C’est une pièce égalitaire, elle doit stimuler autant l’imagination des femmes que des hommes. » Derrière une attitude réservée et élégante, Ramette dissimule donc ses inquiétudes et dévoile, à travers ses planches, des visions hallucinantes qui flirtent avec l’utopie et les projets de l’artiste belge Panamarenko dont il apprécie le travail.
En exposant à la galerie Xippas plus d’une vingtaine de dessins, Ramette aère une exposition presque trop centrée sur des objets, et surtout instaure un sens de lecture dans lequel on découvre un artiste au regard politique acerbe. Encore à l’état de projet, le Karaoké pour dictateurs potentiels, qui montre un individu sur une estrade en train de s’adresser à une assemblée, sera réalisé en grandeur nature vers la fin de l’année au Smak, le musée d’Art contemporain de Gand. « Le visiteur de l’exposition devra reprendre des extraits de discours de dictateurs, tous continents confondus, qu’ils soient communistes ou fascistes. L’idée est de ressentir le ridicule de la situation et de saisir la manière dont opère le discours totalitaire, en détruisant l’individu pour régner sur le groupe. » Une fascinante machine à discours politique, une uvre à risque : « Si un groupe de skinheads venait à s’approprier l’installation, précise Philippe Ramette, je ne pense pas que cela irait dans leur sens. J’imagine que ça les rendrait encore plus ridicules. »
Au fil de l’exposition, Philippe Ramette, moins rêveur, se révèle un fin chroniqueur de l’actualité, un surprenant spectateur attentionné du petit écran : « Ces Starting-Blocks à chute sont des objets anticapitalistes : c’est ma version personnelle du Maillon faible, l’émission diffusée sur TF1. Elle instaure un esprit de compétition dans lequel on s’habitue à dénoncer ses camarades. Claude Chabrol disait dans un article de Libération que ces jeux de la real TV témoignent d’une intention réfléchie de suggérer que le groupe n’existe pas. » Et pour ceux qui, à la vue des Quatre drapeaux mondialistes d’intérieurs, penseraient que l’artiste commence à exploiter insidieusement le filon de la mondialisation, Ramette surprend encore : « A la suite d’une lecture de La Réalité de la réalité dans laquelle Paul Watslavick explique comment la communication entre les extraterrestres et les Terriens est impossible, j’ai imaginé une petite mallette contenant un éventuel cadeau que l’on pourrait leur faire. Comme de toute évidence, le message universel inventé par la Nasa et envoyé dans l’espace resterait illisible, j’ai pensé à reproduire la première image qu’un extraterrestre peut voir en débarquant chez nous : la Terre. D’où mes Drapeaux mondialistes d’intérieurs qui représentent chacun le globe terrestre vu sous un angle particulier. » Le point de vue est donc une affaire primordiale, un axe sur lequel l’artiste fait pivoter ses idées : entre utopie et réalité.
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Philippe Ramette, galerie Xippas, 108, rue Vieille-du-Temple, Paris iiie. Tél. 01.40.27.05.55. Mardi et vendredi de 10 h à 13 h et de 14 h à 19 h. Le samedi de 10 h à 19 h. Jusqu’au 20 octobre.
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