La Mostra 2001 aura été décevante jusque dans son palmarès, terne et consensuel. S’il n’y avait qu’un film à couronner, c’était Sauvage innocence de Philippe Garrel, injustement ignoré.
Le palmarès rendu par le jury présidé par Nanni Moretti est à l’image de cette 58ème Mostra : terne et mou, consensuel et décevant. La pochade indienne de Mira Nair (Monsoon wedding) a obtenu le Lion d’or, l’atrocité autrichienne (Hundstage) le Grand prix du jury, la jolie dissertation iranienne (Secret Ballott) le prix de la mise en scène, la minuscule comédie sexuelle mexicaine (Y tu mamá también) celui du scénario et les deux interprètes (Luigi Lo Cascio et Sandra Ceccarelli) du moins mauvais des films italiens de la compétition (Luce dei miei occhi) ont gagné les prix d’interprétation.
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Mieux inspiré, le jury de critiques de Cinéma du présent a couronné Laurent Cantet et son Emploi du temps, tandis que Cédric Kahn et son jury de la première uvre ont distingué l’excellent Pain et lait du slovène Jan Cvitkovic. S’il avait voulu lutter efficacement contre la médiocrité de ce qui lui était proposé, le jury morettien n’aurait pas ignoré le seul vrai film d’artiste de la compétition officielle : Sauvage innocence de Philippe Garrel.
Trop long, forcément inégal et répétitif puisqu’entièrement construit sur des variations d’intensité, le nouveau film de Garrel ne parle que de son auteur, donc du cinéma, de Nico, de la came, de la souffrance et de la beauté, du Mépris de Godard et des bandits de petits chemins déguisés en producteurs (inquiétant Michel Subor), des tourments amoureux et du regard inquiet et bienveillant des parents (magnifique Maurice Garrel, avec son visage-paysage que son fils filme si bien), du passé et du mal qui reviennent toujours, de la cicatrice intérieure qu’il faut gratter encore et encore afin de rester vivant.
Extrêmement foisonnant dans son ambition de faire une nouvelle fois le point sur les seules choses qui vaillent la peine (l’art, les femmes et la dignité, quoi d’autre ?), Sauvage innocence veut réinventer le cinéma à chaque plan pour capter le plus infime frémissement. Et il y parvient souvent, sinon toujours, en particulier grâce à la photographie sidérante de Raoul Coutard, qui ne sort de sa retraite que quand ça en vaut vraiment la peine.
Dans cette lagune de cinéma moyen, deux dernières perles de Nuovi Territori nous ont sauvé du naufrage définitif : Elégie de la traversée de Aleksander Sokurov et Danièle Huillet, Jean-Marie Straub, cinéastes – Où gît votre sourire enfoui ? de Pedro Costa, œdirector’s cut du Cinéma, de notre temps’ récemment diffusé sur Arte.
Comme il y a deux Straub soudés, un en deux, qu’on retrouve ici dans un grand film consacré à la concrétude du travail et à l’irréductible singularité d’une geste artistique, il semble qu’il y ait deux Sokourov schizés, plutôt deux en un, celui qui nous casse les pieds avec ses pantalonnades sur les derniers jours des dictateurs (Moloch, Taurus, pitié?) et celui qui a besoin de trois fois rien pour faire un film splendide : le murmure d’un voyage fantomatique et les retrouvailles avec les esprits des lieux. Costa/Straub bientôt en salles, Sokourov bientôt sur Arte, et tous nos vœux de prompt rétablissement à la Mostra.
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